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Ma brosse à dents toute seule ou la peur d’être abandonnée
Crédit: PhuShutter/Shutterstock

Nous sommes un vendredi soir, 18 h 30, en 2003. J’ai 10 ans et je suis (me crois) grande. Ma valise est prête. J’attends mon papa pour passer le week-end chez lui, comme à chaque deux semaines. La semaine dernière, il n’a pas pu venir me chercher, car il travaillait. Nous avons donc reporté ma fin de semaine avec lui. Il arrive habituellement à 19 h, donc je devrais voir son Jeep arriver bientôt.

J’ai hâte qu’il arrive, car secrètement je m’ennuie. Je commence à trouver ça long, 30 minutes de retard. Je l’appelle pour savoir quand il va arriver : il est resté au bureau pour terminer sa semaine. Il me dit que demain matin 9 h, il va venir me chercher chez Mamie, car il ne sait pas quand il va finir. Je suis un peu déçue, mais je sais qu’il travaille fort.

Samedi matin, réveillée tôt pour aller chez Mamie, j’attends mon père. Je déjeune et joue aux cartes avec ma grand-mère pour passer le temps. À 10 h, je l’appelle et je le réveille. Il dit qu’il va arriver un peu plus tard, car il est passé tout droit et il doit faire l'épicerie. J’ai un peu le motton, la gorge qui chauffe, mais je ravale, car j’ai espoir qu’il viendra. Il est juste très occupé.

Il est maintenant midi. Midi et toujours pas de signe. Midi et une, je l'appelle encore. Je me sens fatigante. J'ai peur de le déranger, car je commence à sentir qu'il ne veut pas me voir. Il doit travailler. Encore. J'ai perdu espoir, et ma mère me ramène à la maison. Je vais dans ma chambre et je me sens vraiment abandonnée. J’écris dans mon journal intime et je me dis que je vais attendre encore. Je l’ai rappelé à 15 h pour savoir s’il avait fini ses commissions et le travail, mais j'avais déjà fait mon deuil : je savais qu'il ne viendrait pas. Il avait « un accident de voiture ».

L'affaire c'est qu'à cet âge-là, je ne comprends pas l'abandon. J'expérimente cette émotion sans mettre un mot dessus. Mon cerveau continue à enregistrer par contre. Comment j'étais là à attendre, à espérer. Et j'ai refoulé cette émotion, car même à 10 ans, je ne voulais pas avoir l'air faible. Je n’ai pas voulu pleurer devant ma mère. Je voulais être une grande fille.

Ma mère, forte comme tout, m’a expliqué que mon papa avait des problèmes. Elle m'a expliqué comment l’alcool et la drogue manipulaient le comportement de mon père. « Ce n’est pas qu’il ne t’aime pas, c'est qu'il a des choses à régler, ça lui appartient ». Un paquet de petites expériences comme celle-ci ont fait que j’ai développé un problème de dépendance affective.

Depuis que j'ai perdu mon papa qui s'est suicidé, mon épouxe est toujours resté à mes côtés, et ce souvenir énuméré précédemment, je l'ai revécu lorsqu'il est parti en voyage avec ses parents. En quatre ans et demi, nous n'avions jamais été séparés aussi longtemps. J'ai fait une crise lorsque j'ai vu ma brosse à dents toute seule. Une série de pensées ont envahi mon esprit : qu'est-ce qu'il arrivera s'il ne revient pas? Si son avion crash? Si un tremblement de terre provoque une vague géante et qu'il est sur la plage? S'il réalise qu'il est mieux seul? Qu'il veut prendre ses distances? Qu'il veut divorcer? 

L’abandon, c’est un sentiment qu’on expérimente tous un peu dans nos vies. La meilleure façon de réussir à dealer avec en ce qui me concerne, c’est en me gardant occupée. Faire beaucoup de projets en même temps. J'ai repeint (seule) mon appartement au complet. J'ai travaillé tous les jours. J’ai aussi pris le temps de déconstruire ce souvenir en me disant que les circonstances étaient très différentes. Suis-je la seule à vivre ceci? Non. Donc si vous connaissez quelqu'un.e qui a aussi un problème de dépendance affective, il faut lui donner du temps et lui donner les bons outils pour qu'il ou elle puisse s'en sortir. 

N'hésitez pas à partager vos expériences et vous soutenir mutuellement!

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