Je ne voulais pas devenir une adulte.
Plus nous connaissons de choses, plus nous réalisons notre ignorance sur ce qui nous entoure. Mon incompréhension du monde me fait énormément souffrir. Être devant l’incertitude me donne le vertige.
Je savais depuis toute petite que j’allais devenir coiffeuse.
J’étais capable de me projeter dans le futur assez facilement, alors que pour plusieurs de mes ami.e.s du secondaire, ce n’était pas le cas. Il.elle.s se trouvaient au bord d’une falaise qui les confrontait au précipice de l’incertitude.
Ce vide, je ne l’ai pas connu avant mes dix-huit ans, quand j’ai réalisé que je ne serai pas coiffeuse toute ma vie. Mon futur devenait peu à peu un sombre inconnu dans une van avec des bonbons gratuits qu’on m’obligeait soudainement à suivre malgré les avertissements.
Enfant, j’avais toujours su quoi faire. D’abord le primaire, ensuite le secondaire et finalement j'irais en coiffure et gagnerais ma vie avec ce métier.
J’ai commencé à faire de l’eczéma. Mon corps m’envoyait des messages que j’ai tus avec un tube de cortisone et un nouveau plan. Je me suis inscrite au cégep, sans savoir exactement où ça allait me mener.
Armée de stylos colorés, j’ai donc fait mon entrée au cégep…
… avec l’enthousiasme de découvrir ce que je voulais faire de ma vie et la peur de ne pas être à ma place, encore une fois. À ce moment-là, tout allait bien. Mon futur était flou, mais au moins je savais où j’allais être durant les deux prochaines années. Disons que j’observais le précipice de l’incertitude derrière une clôture qui me donnait l’impression d’être en sécurité. J’adorais mon programme et je me sentais à ma place. Je ne m’énervais pas avec la maudite question : « tu vas faire quoi après? »
Sauf qu’à vingt ans, j’ai commencé à faire des crises d’anxiété et de l’insomnie par moment. La clôture s’effritait. Je mettais ça sur le dos de mes responsabilités un peu plus nombreuses et de mes pas dirigés hors de ma zone de confort.
Et à vingt-et-un ans, c’est devenu insupportable. J’étais fâchée d’être née. Je me couchais en pleurant et je me réveillais fatiguée, en souhaitant que le plafond me tombe dans la face. Je ne voyais plus mon futur. Tout était rendu noir opaque as fuck. La clôture était tombée, pis je perdais pied. Il me restait quatre mois pour choisir un programme universitaire et je me trouvais bonne à rien. Mes notes chutaient et je voyais ça comme la preuve de mon incompétence à la vie d’adulte.
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J’ai finalement choisi de faire une mineure (un an) dans un programme non contingenté.
Je savais que ça ne me mènerait pas à un métier, mais au moins j’avais un plan pour la prochaine année et je pouvais aussi rassurer mes parents. Je me sentais déjà plus légère. J’ai repris mon équilibre devant le précipice de l’incertitude.
Au milieu de ma première session universitaire, j’ai vite été rattrapée par mon plan à court terme. Je savais que je devais changer de voie et j’ai recommencé à mal feeler.
Je ne voulais pas retourner dans l’état dépressif que j’avais connu un an plus tôt. J’ai pris mes jambes tremblantes et j’ai marché vers le bureau d’une conseillère en orientation.
Sortir le crayon permanent
Avec elle, j’ai réalisé à quel point mon inquiétude face à l’incertitude pouvait m'être nuisible.
Depuis plusieurs années, je fais en sorte de dessiner mon futur au crayon de plomb pour être certaine de changer les lignes si ça ne me plaît pas. Ma « méthode » a fonctionné longtemps, mais j’ai compris qu'il était temps de sortir le crayon permanent.
J’ai encore beaucoup de travail à faire sur moi-même, mais être consciente de mon démon m’aide à me prendre par la main et à me flatter les cheveux quand ça va pas.
Je ne pourrai pas guérir mon anxiété, mais je peux vivre avec. Je peux me regarder aller, et faire la différence entre les décisions que je prends pour fuir l’incertitude et celles que je prends pour mon bien. Maintenant, je dois m’équiper d’un harnais et plonger dans l’inconnu.
Avez-vous tendance vous aussi à dessiner votre futur au crayon de plomb?