Il y a de ces souvenirs qui vous restent gravés dans la mémoire comme s’ils dataient d’hier, alors qu’en réalité, des dizaines d’années vous en séparent. Mon plus vieux souvenir est l’un de ceux-là : c’est un jour de printemps, je n’ai pas tout à fait deux ans et, perchée sur le rebord de la fenêtre du salon, je regarde d’immenses rouleaux de pelouse être déployés devant ma nouvelle maison. Je n’ai aucun souvenir de notre première maison. Je sais que nous vivions à Laval et que nous avons déménagé en décembre : j’ai vu les photos, mais ça se limite à ça. Mon chez-moi, la maison de mon enfance, c’est celle où j’ai vécu pendant 26 ans : la maison grise près du petit boisé, sur la rue au nom trop long pour les formulaires, et qui fait badtriper les livreurs de pizza.
En juillet dernier, j’ai quitté le nid familial pour emménager dans mon premier appart, des années après que mon grand frère ait fait le move. Mes parents m’ont laissé plusieurs trésors familiaux : le petit sofa brun en velours, la vaisselle de feu de ma grand-maman et même ma cuillère à soupe préférée (celle avec le manche brun). Ils savaient à quel point c’était important pour moi d’emporter un peu de mon enfance dans mon nouveau chez-moi pour m’y sentir bien. C’est une grande nostalgique, leur fille.
Le premier Noël est passé, et je me suis trouvée pas pire bonne! Je m’attendais à être submergée par plein d’émotions contradictoires : c’est ça qui arrive quand la maison dans laquelle on vit depuis toujours devient « chez mes parents », right? En fait, non. Je m’y suis sentie à l’aise, c’est-à-dire assez à l’aise pour m’endormir sur le divan comme d’habitude. Et j’avais hâte de rentrer dormir chez moi. Bref, je me sentais comme une adulte (genre) épanouie et j’étais bien fière de moi!
C’était jusqu’à ce que je voie passer sur Facebook la photo de la maison de mes parents avec une petite pancarte rouge plantée triomphalement sur le devant du terrain. Il semble que ce soit ça, le cue des émotions contradictoires, parce que c’est à ce moment-là qu’elles se sont pointées. Et honnêtement, je n’ai pas encore fini de les démêler au moment de rédiger cet article. Mes parents vendent la maison de mon enfance. Ça fait des années qu’ils y pensent et qu’ils en parlent, mais ils viennent tout juste de trouver exactement ce qui leur convient. Ils m’ont montré les photos et je les ai écoutés m’en parler avec un enthousiasme que j'avais rarement vu. C’est vraiment parfait pour mes parents et je suis si heureuse pour eux!
Pourtant, en voyant la photo quelques jours plus tard, je me suis presque mise à pleurer. Et aussi stupide que ça puisse paraître, je n’ai pas été capable de partager la publication. Comme si j’avais l’impression que d’un seul clic, j’allais fermer pour toujours la porte sur mon enfance. Je n’arrive pas à concevoir que l’an prochain, c’est dans un autre salon que nous allons célébrer Noël. Qu’en arrivant chez mes parents, je ne verrai plus le boisé où je jouais à la tag-cachette. C’est sûr que le changement et moi, on n’a jamais gambadé main dans la main, mais je suis déçue de ressentir ces émotions. Je me trouve égoïste de ne pas être absolument ravie du projet de mes parents. Ma nostalgie a un petit goût amer qui me fait grimacer et j’ai beaucoup de mal à dealer avec ça. Généralement, j’aime ma nostalgie plus sucrée.
Avez-vous parfois du mal à gérer votre nostalgie?