
Mon premier avortement, j'avais 18 ans. Je prenais un contraceptif oral depuis deux ans, en fait, depuis que j'étais en couple avec mon premier chum. Je suppose qu'il n'y a pas de bon ou de mauvais moment quand la nature décide qu'un petit être se loge au creux de nos entrailles, malgré toutes les précautions qu'on peut prendre. Ce que je sais, par contre, c'est qu'à ce moment-là, je n'avais rien d'une future maman. J'avais lâché le cégep parce que j'étais incapable de dealer avec mes émotions et de me concentrer sur mes études.
La première année de conte de princesse avec mon copain s'était transformée en un trip de montagnes russes. On avait tôt fait de m'apprendre qu'il était déjà papa, ha! D'un petit garçon de deux ans. Il commençait tout juste à passer du temps avec son fils et moi, pouf, je tombais enceinte. J'ai passé les sept premières semaines de ma grossesse surprise à me demander ce que j'allais faire. Après cette longue période de réflexion, j'ai décidé qu'il était mieux de me faire avorter. Pour moi et pour l'enfant. Je n'ai jamais eu de regrets.
Six ans plus tard, je suis avec mon copain actuel. Nous venons tout juste de célébrer notre cinquième anniversaire ensemble. La vie est un peu chaotique, je suis aux études, il travaille à contrat : on manque un peu de stabilité, mais ça va, on s'en sort. Je suis en classe, c'est l'examen final de mon cours. Je n'arrive pas à me concentrer. Je sens que je ne suis plus seule dans mon corps. Je reconnais les symptômes : seins qui tirent et qui débordent, fatigue extrême, une incroyable envie de manger du yogourt… je butch mon examen et je cours jusqu'à chez moi, en prenant soin de passer à la pharmacie avant. Le test de grossesse en main, j'hésite : j'ai un autre examen final dans une heure. Mais je suis incapable d'attendre, je dois savoir! Quand les deux lignes verticales apparaissent sur le bâton, je n'ai même pas le temps de digérer la nouvelle que je dois courir à l'université entamer mon dernier examen de la session avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Je ne pense pas que ce soit une bonne nouvelle. J'ai toujours voulu être maman. Je sais que je veux des enfants avec mon copain, je sais que lui aussi. Mais le timing n'est pas opportun. Nous vivons dans un petit trois et demi, nous avons des dettes d'études par-dessus la tête, ma santé mentale n'est pas au top, je travaille à temps partiel, je suis encore aux études… Le choix est déchirant. Cette semaine-là, je m'en vais travailler. C'est un long quart de travail, je passe les huit heures de la journée debout, à me pencher pour nettoyer de la poussière, à me relever pour répondre aux clients. J'arrive chez moi, complètement vidée. Je ne suis qu'à six semaines de grossesse et j'ai déjà l'énergie d'une crevette. J'appelle ma mère en braillant : « je ne peux pas être enceinte pendant que je travaille là-bas, imagine-moi à huit mois, avec ma grosse bedaine, debout toute la journée à courir partout! » Je m'en vais me coucher et je fais des rêves complètement morbides. Le lendemain matin, mon copain est parti travailler. Je me lève. Assise sur la toilette, je remarque que mon pyjama est inondé de sang. J'ai des crampes menstruelles. Plus tard, à la clinique pour femmes, on m'apprendra que j'ai fait une fausse couche, mais que j'ai quand même besoin d'un curetage. Je me sens coupable. J'ai l'impression que mon corps m'a trahie, qu'il ne m'a pas laissé le temps de réfléchir aux choix qui s'offraient à moi.