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Gentillesse et rumeurs : hommes, je ne vous sourirai plus
Crédit: Montage par Johana Laurençon

Demain, c'est mon party de bureau. Chaque année, j’hésite à m’y rendre. On sait tous que ces événements-là sont de vrais incubateurs à potins. Si tu as le malheur d’aller commander un drink en même temps qu’un collègue de sexe opposé et de t’attarder quelques secondes de trop au bar à jaser de conditions climatiques et d’absence de neige en décembre, la machine à rumeurs risque de s’enclencher. La machine à slut-shaming aussi, d’ailleurs.
 
J’ai quand même décidé d’y aller cette année parce que c’est le fun, voir mes collègues hors du lieu stressant qu’est un bloc opératoire. Je me suis dit que je ne laisserais pas mon anxiété sociale et ma peur d’être le sujet de discussion du lendemain matin m’empêcher d’avoir du plaisir.
 
Plus tôt la semaine passée, j’étais tout bonnement en train de choisir la robe que je porterais pour la soirée lorsque je reçois un message d’une collègue. Il semblerait que j’aurais une aventure avec un chirurgien. Ma première réaction a été d’éclater de rire en criant : « Come on, voyons donc, ça n'a aucun sens, cette histoire-là ». Il faut dire que j’ai dû travailler avec le chirurgien en question à deux ou trois reprises seulement, je ne voyais donc pas où on aurait pu aller chercher ça.
 

Crédit : Giphy

Quelques minutes sont passées, puis je me suis rendu compte que j’étais de plus en plus en colère. Je n’arrivais pas à savoir pourquoi, mais je ne trouvais plus ça drôle du tout.
 
Puis soudainement, la réponse m’est venue : mon collègue de sexe masculin n’a jamais eu à dealer avec ce genre de rumeur en quinze ans de service. Un hasard? Je ne pense pas. Il n’a jamais eu à se demander s’il était trop souriant avec ses collègues, si le fait d’être une personne chaleureuse faisait dire aux gens qu’il se cherche un sugar daddy. Il n’a jamais fait scandale parce qu’il a eu l’audace de discuter avec des personnes de sexe opposé dans un party de Noël. Il n’a jamais eu à se questionner durant des semaines à propos de ce qu’il porterait lors dudit party pour s’assurer de ne pas être provocant et d'avoir l’air de chercher l’attention.
 
Je ne m’inquiète pas pour ma réputation. Ce qui m’inquiète et me frustre au plus haut point, c’est de me dire que même si je limitais ma bonne humeur, mes sourires et ma gentillesse, je ne serais pas à l’abri de ce genre de situation-là. Le pire dans tout ça est que cette rumeur a été générée par des femmes. Non seulement nous nous demandons si nos sourires seront mal interprétés par certains hommes, nous devons également nous inquiéter des conclusions qu’en tireront certaines femmes. Le féminisme n’est plus nécessaire en 2016, me dites-vous? Quand le sexisme est internalisé au point que des femmes en font preuve sans même s’en rendre compte, moi, je vous dis qu’il est indispensable.
 
À vous, mesdames, qui avez besoin de spéculer sur ma vie pour pimenter la vôtre : vous me faites mal. Me faire slut-shamer alors que je ne me suis pas encore remise de mon viol, c’est blessant rare. Non seulement vous avez tort dans vos suppositions ridicules, mais vous n’avez pas un mot à dire à propos de ma vie sexuelle ou celle de quiconque, d’ailleurs. Vous me dépossédez un peu plus de ma sexualité, dont reprendre le contrôle est un combat quotidien.
 
À défaut d’inventer des aventures entre vos collègues, je vous en propose une vraie : demain, je mettrai ma plus belle robe et mes plus hauts talons et je vous encourage à faire la même chose, malgré les ragots qui pourraient suivre. Venez donc me rejoindre au bar, on parlera de météo en attendant notre gin-tonic. Je vous invite même à me rejoindre sur la piste de danse, je vous jure qu’on aura du fun quand Mambo No. 5 va se mettre à jouer. On dansera sur Footloose, je vous promets que ça mettra du piquant dans votre soirée. On chantera I Will Survive à tue-tête, sans avoir peur du ridicule, et ça fera une bien belle anecdote à raconter, le lendemain matin.

Crédit : Giphy
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