Il m’a fallu du temps pour développer une identité vestimentaire. Au secondaire, j’allais dans une école privée pour filles et je portais un uniforme. Une jupe à plis dont l’allure devenait désastreuse dès que j'essayais d’en rouler la taille pour la raccourcir, un polo blanc qui rendait brutal l’art d’apprendre à porter le soutien-gorge, puis finalement un cardigan avec des stripes sur le bras dont la teinte questionnable de rouge variait avec les années.
Pourquoi se préoccuper de style quand ton outfit est prédéterminé pour toi 5 jours sur 7? Je ne m’en faisais donc pas trop avec ça. Par contre, c’est vrai que je vivais beaucoup d’anxiété la veille des « discos » à l’école mixte en face de la mienne parce que je ne comprenais pas les codes vestimentaires des autres jeunes et que je n’avais rien à me mettre qui soit de circonstance.
La suite, le cégep puis mon déménagement à Montréal pour mon Bac, je m’en rappelle comme d’une série de tribulations stylistiques. Je pense que j’essayais surtout de mettre sur moi des choses que je trouvais belles sur d’autres et que ça marchait plus ou moins. Ça ne m’appartenait pas. Ça ne me seyait pas.
Mon esthétique personnelle s’est vraiment cimentée pendant mes années de maîtrise. J’ai déménagé à Québec pendant un an pour compléter une scolarité complémentaire me permettant d’accéder aux études de second cycle dans mon domaine et de revenir à Montréal. J’avais beaucoup de temps libre et pas beaucoup d’amis en ville. Bref, j’ai pas mal fréquenté les places Laurier et Sainte-Foy, on va se le dire. C’est là que j’ai commencé à apprivoiser mon corps et les silhouettes qui lui conviennent. Que j’ai découvert mon amour des neutrals, et du gris en particulier.
Peu à peu, j’en suis venue à affectionner le oversized, le boxy, le shapeless. Les chemises boutonnées. Les sneakers. Les chaussures oxford. Mon visage avec peu de maquillage. Quand j’ai découvert l’existence de Leandra Medine et de son blogue, je me suis tout de suite sentie interpelée. Moi aussi, j’étais une man repeller et j’affectionnais des tendances qui ne sont pas au goût des hommes en général.
Je dis « généralement » parce que je sais bien que certains peuvent apprécier mon sens du style. Mon chum me trouve belle, t’sais. N’empêche qu’encore récemment, un ami me demandait si j’étais vraiment sûre de vouloir porter mes Stan Smith pour sortir dans un bar. Moi, j’étais ben à l’aise et je ne voyais pas le problème.
Beaucoup de textes et d’opinions circulent ces temps-ci sur la culture du viol. Plusieurs de nos collabos se sont exprimées là-dessus, chacune à leur façon. J’ai cogité moi-même pas mal sur le sujet. Été écorchée par plusieurs commentaires. Touchée par des témoignages.
Plus j’y pense, plus je me demande si je n’utilise pas mes vêtements comme une armure. Contre les regards, les commentaires et les actes déplacés auxquels nous nous exposons souvent en tant que femme sur la place publique. Que j’ai, moi aussi, personnellement vécus et qui m’ont bouleversée. Bien sûr, je m’habille d’abord pour moi. Je porte ce que j’aime et ce qui me fait sentir bien. Mais pour être honnête, je pense que j'apprécie aussi l'anonymat relatif que me confère mon look auprès de la vaste majorité des hommes.
C'est ironique parce que consciemment, je suis la première à défendre le droit des femmes de porter ce qu'elles veulent sans avoir à en subir le blâme. J'en ai d'ailleurs touché un mot ici. C'est donc profondément choquant de réaliser qu'inconsciemment, je donne raison aux conseils malvenus voulant que pour éviter une attention non désirable, les femmes doivent en un sens se neutraliser. Malgré moi, comme Steph, j'ai peut-être cédé à la culture du viol…