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Le complexe du chou-fleur

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Le complexe du chou-fleur
Crédit: Montage par Garance Philippe

Il y a déjà deux ans de cela, un de mes amis Facebook – qui se trouve à être humoriste – a publié un selfie avec un chou-fleur qu’il avait acheté en spécial à l’épicerie. Cette photo a eu plus de 200 « j’aime ». La saga s’est continuée plusieurs jours alors qu’il nous tenait informés de l’état de son chou-fleur. Chacune des aventures du chou-fleur récolta des centaines et des centaines de réactions positives.
 
Dans les semaines qui suivirent cette épopée, plusieurs internautes se sont mis à créer et partager des montages sur le mur du propriétaire du chou-fleur mettant en vedette ledit légume. Une des photos récolta 1 100 mentions « j’aime ».
 
Il m’arrive fréquemment de repenser au chou-fleur. Sa popularité m’a confrontée, jusqu'à envier la présence Web d’un légume.
 
Alors que ma logique sait qu’il est complètement ridicule que je le jalouse, quelque part, une partie de moi convoitait la célébrité, la notoriété ainsi que la gloire instantanée et éclatante du chou-fleur. « Qu’est-ce qu’il a, ce chou-fleur, que moi je n’ai pas? », me suis-je même surprise à me demander.
 
Je sais bien qu’il s’agit de l’homme derrière le chou-fleur, et non le chou-fleur en tant que tel. Je sais bien que cet homme est connu du public, qu’il a 5 000 amis Facebook, alors si ce n’est que mathématiquement parlant, les statistiques sont en sa faveur pour cumuler les likes. Mais… autant? Pour un chou-fleur? Vraiment?
 

Source : Giphy

Entre autres, deux choses me perturbent. Primo : s’il affichait une photo dénonçant le racisme ou l’intimidation, par exemple, est-ce que celle-ci collectionnerait autant de réactions? Perso, je ne crois pas, et ça m’afflige de faire partie d’une génération où le chou-fleur peut être plus cool que l’éducation sociétaire. Secundo : de quelle manière conserver un recul approprié face à l’importance grandissante qu’a notre image Web? Comment parvenir à délier la réalité des plateformes Web et celle de la vraie vie? Parce que no way qu’un chou-fleur a cette réaction-là dans la vraie de vraie vie.
 
L’autre jour, je suis tombée sur un autre gars qui gagne en popularité sur Internet. J’étais un peu saoule et l’ai confronté sans détour ni tournage de langue poli en lui demandant si sa vie était aussi illustre que ce qu’elle en avait l’air sur Facebook. J’ai été particulièrement étonnée de sa réponse. Il a pausé un moment, réfléchissant, et m’a tout simplement dit que non. Que ça n’allait pas si bien que ça, qu’il avait des problèmes de consommation et se sentait profondément seul.
 
J’adore les réseaux sociaux. Je les alimente et m’y informe. Toutefois, je dois perpétuellement me rappeler à l’ordre : la personnalité que nous exhibons sur ces plateformes n’est pas représentative. Ce n’est qu’une fraction de soi enjolivée par un algorithme bien calculé. Notre réelle identité ne se définit pas par des clics. C’est évident comme constat, vous me direz. Par contre, à l’ère où les cyberinterventions prennent de plus en plus de place et que des choux-fleurs conquièrent le monde plus que moi, j’ai grand besoin de me le répéter.

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