Pour la première partie, c'est ici.
30 juin, 19 h 11. Je pense que Yan rit au bout du téléphone. Fait cocasse : avant les nouveaux poumons, lorsqu’il avait ses quintes de toux, il avait l’air d’un gars ben, ben crampé! T'sais, un gars qui rit tellement qu’il en sille un peu? Mais non… Yan ne tousse pas, il ne rit pas. Mon ami pleure. « Je t’aime, je t’embrasse fort, ça va bien aller, promis! » Je raccroche et je fonds en larmes.
Quelques minutes avant, au bout du fil, il a dû gérer quelque chose que bien peu de gens auront à gérer dans leur vie : « Bonjour Yannick, j’ai des poumons pour toi. » Il m'a dit par la suite que le temps, son cœur et sa vie se sont arrêtés simultanément. Tel un participant du Banquier, on lui demande s’il accepte ou refuse la greffe. « OK, GO, J’ARRIVE! »
Pour ma part, je suis à la Baie James. Yan attend nerveusement ses parents qui vont l’accompagner à l’hôpital. La greffe est prévue pour le lendemain matin, 1er juillet. Il était tellement nerveux que, pendant qu’il préparait ses bagages et appellait une ambulance, son premier réflexe a été de fermer l’entrée d’eau de la laveuse (why though?)!!!
Demain, c’est vendredi. Je travaille sur une réserve autochtone dans le fin fond du beau et grand Nord. Je suis loin, je me sens impuissante. Ma mère me dit que je ne pourrais rien faire de plus si j’étais à Montréal. Bah, t’sais, je serais à huit minutes de vélo et non pas à 17 heures de voiture! Peut-être aurais-je pu aller le rejoindre dans le stationnement de l’hôpital et le serrer dans mes bras?
Cette fameuse journée-là, je sais qu’elle sera longue. Je n’ose imaginer le stress que vivent ses proches et, pour cette raison, je ne veux pas les déranger avec mes 804 appels à la minute (ouais, j'suis très « allô-je-ne-contrôle-pas-mes-émotions »!). Je réussis à trouver sa sœur sur les Internets et lui demande si elle aurait la gentillesse (et l'énergie) de me tenir au courant des développements, ce qu’elle prendra le temps de faire durant toute cette longue semaine (je ne la remercierai jamais assez pour ça, d’ailleurs!).
De mon côté, je prends contact avec une amie commune de Yannick et moi qui s’inquiète également comme ce n’est pas permis de le faire. Ensemble, nous nous confions, rassurons, encourageons, nous lui envoyons de l'amour. Cette fin de semaine du 1er juillet 2016 aura été la plus longue de ma vie, et je m’en souviendrai longtemps. Une chirurgie de six heures et demie qui me gardait les yeux rivés sur mon téléphone, à l’affût de la moindre nouvelle, les yeux dans l’eau à chasser les mauvaises pensées. Dans ces moments, il ne faut garder que les bonnes en tête et y penser très fort en espérant que la personne ressente toute cette énergie et cet amour qui lui est envoyé!
Le groupe Facebook pour Yan est très actif. Je reçois des notifications chaque minute! Des messages d’espoir, des messages d’amour; nous nous tenons tous ensemble, nous rétablissons entre nous de vieilles amitiés qui ont été brisées au fil du temps. C’est un événement qui nous rassemble autour de lui, pour lui.
À 17 h 45, le message tant attendu pop sur la page : « L’opération est terminée. On attend de voir le doc. » Mais je ne crie pas victoire tout de suite. Les heures à venir sont déterminantes. Yannick n’est pas encore réveillé, il est sous sédatifs puissants pour ne pas ressentir de douleur. Il y a toujours la possibilité de rejet des nouveaux organes ou des complications d’après-chirurgie. Mais il faut rester positif tout le temps, tout le temps, tout le temps!
Lundi midi, ENFIN (prends ton temps, mais pas trop!), Yan ouvre les yeux. Je dis à sa sœur de lui donner plein de p'tits becs fatiguants de ma part. Quelques heures plus tard, elle m’écrit pour me dire qu’elle l’a fait en lui disant : « C’est de la part d’Emilie! ». Il sourit. Ma journée est faite. Elle m'envoie cette photo, et moi, je capote :
Yan réussit finalement à m'écrire un « Yo! » (bah, comme si de rien était, quoi!). Le sentiment est indescriptible! Je suis toujours au téléphone avec mes parents à les mettre au courant de la situation. J’en parle à mes collègues, à mes amis. Je suis carrément overwhelmed! Vivement que je rentre à Montréal, baptince!
Par la suite, tout se déroule pour le mieux, mis à part quelques heures d’inquiétudes lorsque Yannick avait de l’eau sur les poumons. Un diurétique et des bons soins et… hop! c’est chose du passé! Lundi le 11 juillet, j’entre au département spécifique des greffés pulmonaires. Je dépose mon sac à dos dans un sac de plastique, j’enfile une jaquette, un masque, des gants. J'ai peur d'oublier quelque chose. J’attends que Yan soit prêt à me recevoir. Je suis fébrile, nerveuse, j’ai un peu mal au ventre.
Vingt interminables minutes plus tard, j'entre dans sa chambre… Je m’attends à voir un Yannick knocked out, plutôt mal en point, encore endormi, mais au contraire! À part quelques cheveux gras (vous essayerez de ne pas vous laver pendant une semaine!), Yan est souriant! La vie est belle! La vie est FUCKING belle!!! Ce gars-là a toujours été une source d'inspiration pour moi. Yannick, négatif? Jamais! Il n’a jamais lâché, il s’est battu et il se bat encore.
Je lui serre la main à travers mes gants de latex, je lui envoie des bisous soufflés à travers mon masque plein de sueur. Nous écoutons des émissions de marde, nous jasons de tout et de rien. J'ai le motton, mais je ne veux pas pleurer devant lui. J'ai eu peur. Nous avons tous eu peur.
Yannick sort de l'hôpital 19 petits jours plus tard. 19. Je serais restée plus longtemps s'il avait fallu que j'attende à l'urgence pour une infection urinaire, t'sais…
Et, alors, la deuxième vie commence (dans le prochain article!).