Souvent, à l’adolescence, les gens passent par cette phase où les parents sont « cons », nous « font chier » et nous font honte. On les trouve out et déphasés. Je n’ai jamais vraiment eu ce rapport avec ma Shmi – c’est de même qu’on la surnomme, allez savoir pourquoi. C’est clair qu’il y a eu des moments où elle me tapait sur les nerfs, qu’elle était too much ou qu’elle passait un commentaire tellement maman que j’en rougissais de gêne. Malgré ces rares occasions, je l’ai toujours considérée comme un modèle. Je suis fière d’elle. Fière de l’avoir comme génitrice, comme partenaire de crime.
Je devais avoir 14 ans quand j’ai inscrit ma mom – à son insu – à un concours radio dans le cadre de la fête des mères. Ce dernier s’intitulait « La mère la plus sautée de l’Estrie » et le prix était un saut en parachute. Les candidats devaient vanter les mérites de leur mère en expliquant pourquoi elle pourrait être considérée comme la plus flyée de la région. J’avais téléphoné et avais tout simplement énuméré les trucs qu’elle avait faits :
- À 40 ans, elle s’est fait percer le nez;
- À 45 ans, elle s’est fait faire son premier tattoo;
- À 50 ans, elle s’est rasé les cheveux au coco afin de partir à neuf pour sa deuxième moitié.
J’ai gagné. En fait, non. Ma mère a gagné et, malgré sa peur bleue des hauteurs, nous sommes allées faire le saut en parachute (elle s’est d’ailleurs cassé le coccyx en touchant le sol à l’atterrissage. J’en ris encore).
Déjà au secondaire, elle était aussi, sinon plus populaire que moi. Au gala de fin d’année de ma ligue d’improvisation, ma mutti s’était fait remettre, par le comité organisateur de la ligne, une plaque pour sa participation exceptionnelle et un trophée pour le meilleur rire ever. « Ta mère est tellement hot, Garance! »
Dans le temps, elle conduisait une Hyundai Tiburon noire dans laquelle elle écoutait du Jonny Lang à tue-tête. Sur le parechoc avant de son bolide on pouvait lire « MOM’S TAXI » sur une plaque aux couleurs new-yorkaises.
- À 55 ans, à la sueur de son front, ma mère a obtenu sa ceinture brune en karaté (celle qui précède l’ultime ceinture noire).
Shmi a désormais 64 ans. Bien que je la trouve encore resplendissante et qu’elle m’inspire tout autant, depuis quelques années, je la sens vieillir. Je me heurte à l’étrange réalité suivante : elle n’est pas éternelle. Le passage du temps l’affecte, fait son empreinte. Une ride de plus par-ci, un petit mal de genou par-là…
Elle souffre désormais d’ostéoporose et ça m’inquiète terriblement. Je l’imagine tel l’homme de verre dans le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, qui se fracasserait en mille miettes si elle tombait. Cric. Crac. Crouch. C’est rendu que je la chicane pour qu’elle s’agrippe aux rampes.
Je fais de mon mieux pour la respecter quand je lui rappelle de prendre soin d’elle, de ne pas trop se fatiguer et de déléguer certaines tâches rendues plus difficiles qu’avant. Pas évident.
Au moins, on en parle, du vieillissement.
C’est dans les petites choses que c’est éprouvant… Elle ne peut plus porter le même maquillage qu’avant. Les tons foncés ne lui vont plus. Elle doit désormais choisir ses vêtements plus consciencieusement, non seulement pour camoufler ses plis de peau qui l’embarrassent, mais par peur de s’habiller trop jeune pour son âge. « Am I too old for this? », me demande-t-elle parfois quand on magasine. « Fuck, it’s so hard to figure out this getting old thing. You know, I still feel 23 in my heart. » Récemment, elle m’a dit : « I’m scared of the day I won’t be able to wear my high heels anymore. » Ça m’a brisé le cœur.
Ces préoccupations font de l’ombre au reste et me font perdre le souvenir de la fois où nous nous sommes jetées de 13 500 pieds dans les airs… Je néglige parfois le fait que, malgré ses petits os friables, elle reste la même femme remarquable, éclatée et jeune d’esprit.
J’oublie, jusqu’à ce que le naturel revienne au galop, et qu’un bon dimanche après-midi, je reçoive ce selfie de ma Shmi :
Elle patientait pour Rammstein au Festival d’été de Québec. Moi, j’étais chez nous avec les rideaux à demi-fermés, en bobettes, en train de binge watcher des MasterChef.
J’ai 27 ans.
Ma densité osseuse est A-1;
J’ai peur des foules;
Ma mère est plus cool que moi;
Et j'en suis fière.