C’est le mot auquel je pense chaque fois qu’il s’agit d’une crise de honte. J’ai chaud, j’ai du mal à me concentrer et tous mes repères se brouillent. Je la sens monter, cette gêne extrême, ce mal de vivre soudain, cette honte qui se fraie un chemin dans des moments imprécis. Quand ça m’arrive, je ferme les yeux, je tâche de sourire bêtement à la personne qui me parle, ou encore je soupire si cette attaque se produit alors que je suis seule. Un long et intense soupir. J’essaie d’extraire la honte de mon corps, de mes poumons, de mon sang.
En quelques secondes, toutes mes bêtises, toutes les choses déplacées que j’ai pu faire par le passé, toute cette hargne que j’éprouve vis-à-vis de ma famille dysfonctionnelle, ma famille pas parfaite, de mon corps, de mes erreurs du passé, les choses que j’ai pu faire ou dire, remontent à la surface de mon crâne et me jettent un poids ignoble à porter. Une honte à retardement, que j’aime l’appeler, et les crises sont irrégulières; elles ne sont que de passage dans mon existence (tant mieux!). Une fois par semaine, une année sans crise, deux fois par jour. Les crises de honte durent quelques secondes, une minute au maximum, mais lorsqu’elles arrivent, je ne fonctionne plus, une angoisse immense m’aveugle. Je me sens vaincue. Je me sens faible. Je me sens mourir. J’ai honte de vivre. J’ai honte d’avoir vu le jour. Puis, elle se dissipe tranquillement, me laissant perplexe, confuse. Pourquoi est-ce que ça m’arrive?
Depuis que je suis toute petite, j’éprouve ce que j’appelle des crises de honte. Généralement, elles surviennent sans signe précurseur et elles repartent aussitôt qu’elles arrivent. Rien ne les provoque également. Je peux aussi bien être en train de faire l’épicerie ou en train de travailler. Quand ça m’arrivait, enfant, je pensais qu’il s’agissait d’un sentiment isolé. Je pensais que c’était de ma faute. Que j’étais pas assez jolie, pas assez bonne, pas assez tout court et que c’était pour ça que je ressentais des vagues de honte m’envahir. Ce n’est que très récemment que j’ai demandé à deux de mes bonnes amies si ça leur arrivait. L’une m’a répondue qu’elle n’était pas familière avec cette situation, alors que la deuxième semblait être victime de troubles honteux.
Il faut savoir dissocier la honte de ses sentiments connexes, tels que la gêne, la culpabilité ou encore la pudeur. La honte est un curieux feeling difficile à expliquer. Parfois, on peut ressentir de la honte si on a fait quelque chose de travers, pour quelque chose que l’on a dit, que l’on a fait – ou même pensé –, mais que faire lorsque celle-ci se présente pour une raison inconnue? Cette honte, lorsqu’elle se jette sur moi, bien qu’elle ne dure qu’un bref instant, m’isole de tous les autres. Je me sens indigne d’être vue ou écoutée. Si, par malheur mon chum ose me donner une preuve d’affection alors que je viens de faire une crise de honte, malheur, je me sens tomber et fiévreuse. J’ignore les messages de mes proches. J’ai envie de désactiver mes comptes sur les médias sociaux. Je ne cesse de me répéter : « Et si je disparaissais de la map? », mais ça finit par passer. Je retrouve mon gros bon sens. J’essaie de faire la part des choses, de respirer. Pas toujours facile.
Vous arrive-t-il d’éprouver de la honte pour des raisons qui vous échappent? Comment faites-vous pour passer par-dessus?