Une papaye, une vulve; un citron, un mamelon

J’ai été instantanément séduite par le fruit fingering de Stephanie Sarley, cette artiste californienne qui a développé une fascination pour les fruits et leur esthétique sexuelle, sensuelle, aphrodisiaque. Elle arrive à point, selon moi, dans une culture de la sexualité menée par des concepts pornographiques vides – notez le suffixe « graphique » – où l’on ne peut plus faire de plans plus rapprochés et où l’on fait abstraction de l’essentiel.

L’équivalent fait ricochet dans la réalité, car la porno nous donne des images représentatives de ce que le sexe devrait être et nous éloigne de plus en plus de notre imagination, mais cet espace, dans notre cerveau, où tous les scénarios sont possibles, est aussi le moteur de nos inspirations et jouissances.
 
Je suis une admiratrice infinie de la nature, elle est au centre de ma spiritualité. Je suis le ciel, je suis les fleurs, je suis les arbres. Je suis aussi l’Art, l’incompréhensible, l’inexplicable, le déraisonnable. Les vidéos fruitées de Stephanie me rappellent tout ça. Elle prend un élément de la nature et le retire de sa fonction première : nourrir. Elle le transforme en vulve vivante, active, juteuse. Elle fait aussi éclater le jus de raisins du bout de ses doigts, flatte les extrémités d’un citron tels des mamelons durcis ou pénètre une orange sanguine, comme un sexe menstrué (miam). Vive l’art moderne! Douce pensée pour les ready-made à la Marcel Duchamp, comme la Fontaine.

 
Le plus amusant, c’est que son compte Instagram a connu en très peu de temps une popularité exponentielle (77 000 abonnés), et les gestionnaires ont banni et fermé sa page à trois reprises. Cela signifie que le propos derrière les doigts qui pénètrent un fruit mûr est trop « graphique » pour être correct. Avec toute l’accessibilité des images sexuelles sur le Web, gros plans sur fellations et pénétrations simples et doubles, animaux, enfants, on conteste l’aspect borderline de jolis fruits qui représentent des vulves. Permettons-nous de rire en chœur!
 
Un jour, bientôt, mon garçon sera assez vieux et beaucoup trop jeune pour googler « pipe », « vagin », « érection », et Dieu que j’aimerais mieux qu’il tombe sur une papaye, un citron, une orange sanguine ou un melon! C’est ludique, naïf, simple, mais à la fois tellement plus vrai que la plupart des représentations accessibles à portée de nos écrans. Ceci dit, je crois que plusieurs adultes matures pourraient bénéficier d’une petite séance d’observation active de fruits affriolants pour retrouver une certaine fraîcheur et ainsi raffiner leur écran interne. Percevoir la sensualité dans la nature est une source inépuisable d’illumination, et notre jouissance naît de la volupté.
 
À nos délicieux paniers de fruits!