Sourire à l’heure de pointe

16 h 12, les voitures se touchaient presque et les klaxons se réveillaient, c’était l’heure de pointe. Il faisait chaud, j’avais mal à la tête, j’avais hâte d’arriver. Tout était au ralenti et une dame était vis-à-vis de ma voiture depuis quelques minutes. J’aurais pu éviter son regard par peur de recevoir un coup d’œil fatigué et méprisant, mais je l’ai malgré tout regardée et elle m’a offert un magnifique sourire.

J’ai encore son lumineux visage en tête. Ma journée de merde s’est bien terminée. Merci Madame. Les sourires sont si rares que je dois garder en mémoire ceux que je reçois pour éclairer les jours d’air bête.
 

Je ne sais pas pour vous, chers lecteurs, mais quand quelqu’un est gentil avec moi, je ne lui montre pas le doigt d’honneur. Alors que si quelqu’un m’envoie chier, je ne suis pas portée à lui donner une boîte de chocolats. La galanterie encourage la galanterie. C’est malheureusement une notion qui se perd. On nous apprend plutôt à nous méfier des autres parce que, évidemment, être arrogant et impatient avec les autres, ça amène toujours du gros love.
 

On nous conditionne à voir les inconnus comme des ennemis potentiels. La peur est notre nouveau remède contre la gentillesse.

« Je n’ai pas regardé ce sans-abri parce que j’avais peur qu’il me suive. » « J’ai changé de place dans le bus parce qu’un homme avait un sac à dos et une barbe. » « J’ai ignoré cette femme parce que ses tatouages et son pitbull étaient menaçants. »

On nous bombarde d’images et de gros titres pour semer en nous une haine de l’autre. Des gens sont marginalisés et se font crier des insultes chaque jour parce qu’ils ont des points en commun avec les criminels vedettes (ceux qu’on adore mettre en première page). Ce n’est pas parce qu’un guitariste danois, propriétaire d'un chihuahua, a tué sa femme que tous les autres guitaristes danois propriétaires de chihuahua sont des meurtriers, ok?
 

On ne se mentira pas, les médias ont une méchante obsession sur les musulmans et les personnes noires. À cause de ça, ces gens-là endurent la lourdeur de la peur que nous, petits occidentaux fragiles, adoptons comme moyens de protection. Non, mais c’est quoi cette idée de marde? Agir de façon immonde envers d’autres êtres humains sous prétexte qu’ils sont « peut-être dangereux » ne rendra pas un pays plus sécuritaire, ça va simplement le rendre invivable. La peur de l’autre est une plaie, un virus contagieux alimenté par l’individualisme.

Parce que ce serait trop dangereux qu’on finisse par se prendre par la main, tout le monde. Qu’on arrête de s’ignorer dans le métro et qu’on se sourie. Ce serait trop dangereux pour ceux qui aiment ça, qu’on se haïsse. Pour ceux qui trouvent ça payant, ne rien partager.
 

Personne n’a le droit de vous forcer à sourire, ce n’est pas mon but. Je veux simplement vous amener à réfléchir sur votre attitude face aux inconnus. Et puis, le jour où l’on commence à voir l’autre comme un ami avant d’être une menace, le sourire sort souvent naturellement. Peut-être que vous allez mettre du bonheur dans la journée de merde de quelqu’un lors de la prochaine heure de pointe, qui sait?