Aller au contenu

Être un autre type de victime

Partagez : facebook icon twitter icon
Être un autre type de victime
Crédit: CC0 Public Domain/Pixabay

Dans ma famille, il y a un secret dont la vérité ne sera jamais dévoilée. Il y a trois ans de cela, mon père s'est enlevé la vie suite au mystère concernant des attouchements sexuels faits à la fille de sa copine. Malheureusement, on ne saura jamais le fond de l'histoire, puisque la mort aura emporté avec elle le passé.

Il faut le dire, mon père a déjà eu des problèmes de consommation d’alcool et de jeux, mais reste que sa dépendance a été le résultat d’une coupure dans mon adolescence. Un jour, j’ai reçu une lettre comme quoi il n’avait plus d’adresse fixe, on ne savait plus où il était. Étant donné mon jeune âge, ma mère m’a expliqué, avec la plus grande douceur, ce que cela signifiait. Plus tard pourtant, il s’en était sorti, nous avions retrouvé une belle relation père-fille. J’avais retrouvé mon petit papa d’amour. Lors de sa mort volontaire, il allait fêter sa 8e année de sobriété.

Le problème dans tout cela, c’est que je me sens toujours plus proche de celui qui pose l'action que de la victime. Vu le lien de sang, je me suis toujours sentie responsable de ses supposés gestes portés à l’égard d’une jeune adolescente de 13 ans. Lorsque j’entends les récits des autres victimes, je me sens toujours comme celle qui a franchi la limite du consentement. Même si je sais pertinemment que ce ne sont pas mes actes, que je les refuse et que je les dénonce, reste que je ressens de la culpabilité. J’ai toujours cette envie de m’excuser, de dire à quel point je suis désolée, de revenir dans le passé… De prendre le blâme.

Du point de vue de la famille de mon père, j’ai eu l’impression qu’ils nient ce qui aurait pu se passer ou qu'ils rejettent la faute sur la présumée victime. Comme si elle était responsable de la mort de leur frère. Encore une fois, il faut se taire et la victime est pointée du doigt. Nous n’avons jamais déconstruit le déroulement de l’histoire, parce que c’est tabou. Je ne sais pas comment aborder le sujet, car je les considère eux aussi comme des victimes. 

Je n’ai plus de lien aujourd’hui avec la famille de la jeune fille. Ça leur faisait trop mal et je comprends. Les épreuves sont difficiles pour tous, et encore plus pour elles, la mère et la fille. Je les aimais beaucoup, on avait une belle complicité. Mes larmes coulent encore, à l’instant où j’écris ce texte, mais je crois bien que c’est le temps pour moi de m’exprimer et extérioriser ce qui se passe dans ma tête. J’ai pardonné à mon père de m’avoir quittée, de nous avoir quittés, mais la difficulté m’habite encore lorsque j’essaie de comprendre ce qui a bien pu se passer cette journée-là. Je me dis encore que si j'avais appelé quelques minutes avant que l'histoire s'écrive, mon papa serait encore vivant et rien de tout cela ne serait arrivé.

Jusqu’à maintenant, jusqu’à ces lignes écrites, je n’avais pas réalisé que j'ai besoin d’aide. Je me croyais forte, car c'est ce qu'on me dit depuis les évènements. Que je suis forte. Mais au final, ma force n'est qu'une apparence. J'ai le droit de m'effondrer, moi aussi, face à cette situation. Le suicide et l'abus sexuel, c'est lourd. Ça fait mal de ne pas avoir eu de dernier mot, de lettre d'adieu, surtout que mon père était fâché contre moi avant sa mort pour une raison banale. Je l'appelais, et il ne me répondait pas. La dernière fois que nous nous étions parlé, c'était à Noël, puis il est parti le 12 janvier. Ça fait mal de sentir que je ne peux pas en parler avec ma famille, de peur de ne pas être capable de surmonter mes émotions. Je n’ai pas la force d’affronter cela, du moins pas encore. 

Au beau milieu de ma rédaction, j'ai finalement appelé mon parrain, le frère à mon papa. C'était la première fois que je lui en parlais, et la réponse fut positive. Il m'a tendu la main. Thanks God. Vivre mes émotions comme je l’ai fait en écrivant ce texte me montre bien que je suis loin d’être bien avec ça. Mon chemin est loin d’être terminé. Je n'imagine même pas comment doit se sentir ma kinda-ex-demi-sœur. J'aimerais tellement lui parler, savoir comment elle va, prendre de ses nouvelles, mais je dois respecter qu'elle ne voudra probablement jamais me revoir. J'aimerais tellement que ce texte se rende jusqu'à elle, mais seulement si elle est prête. Je ne veux rien forcer.

Plus de contenu