Cher manipulateur,
Je désire t’écrire ces lignes depuis un certain temps déjà, mais je t’avoue que je ne savais pas par où commencer. Notre histoire s’est si rapidement déroulée et abruptement terminée; il m’a fallu un temps d’arrêt pour songer à tout ce bouleversement dans ma vie dont je te tiens entièrement responsable. Car non, je ne prendrai pas le moindre blâme quant à cette malheureuse histoire, malgré ce que tu peux habilement raconter.
Tu es entré dans ma vie en secouant tout sur ton passage; ma réalité, mon entourage et mes émotions. Mon cœur était sous clé depuis si longtemps, mais tu as si facilement su y trouver ton chemin. À peine deux semaines après notre rencontre, tu t’invitais déjà dans mon trop petit appartement, ramenant chaque jour un peu plus de tes effets personnels. J’étais terrifiée par ce vent de changement, mais emballée par ta constante présence qui était nécessairement synonyme de ton amour grandissant pour moi.
Tes belles paroles sur la loyauté amoureuse me rassuraient, m’envoûtaient. Même si tu avais le jugement légèrement trop facile sur les relations frivoles de mes amis, ton opinion tranchée ne pouvait que démontrer ta sincérité. J’étais ta reine, après tout.
Oui, j’avais des doutes quand je me retrouvais seule au travail devant mon écran à lire des articles de psycho-pop sur les signes précurseurs des relations toxiques et quand je rentrais chez moi et que tu m’attendais assis sur ma causeuse, après avoir passé la journée à profiter de toutes les commodités de mon logis. Puis je voyais tes yeux brillants, souriants, charmants…et j’oubliais tout. Avec mon passé instable, ma peur de l’engagement et ma relation désordonnée avec mes émotions, je me répétais que mes doutes étaient le fruit d’une maladie mentale quelconque. Fais-toi confiance, me disais-je.
Tu m’avais tout de même fièrement paradé à tes amis et collègues et tu te permettais même de laisser croire à tout ce beau monde que l’été venu, je remplacerais ton colocataire afin que nous puissions avoir un nid plus douillet que mon pauvre petit trois-pièces que tu méprisais tant, mais dans lequel tu dormais tous les soirs. Oui, j’avais des inquiétudes; une fois chez toi, aurais-je autant de difficulté avec les tâches ménagères que tu me regardais accomplir sans lever le petit doigt chez moi? Non, évidemment que non; nous étions chez moi, c’était donc normal que je dépoussière plus souvent, même si nous étions deux à contribuer à ce désordre, n’est-ce pas?
Après deux mois parsemés de petits quiproquos et de malentendus, mon anxiété était devenue incontrôlable. Ce weekend-là, tu m’as secouée avec ta brutalité, mais tu es vite revenu me rassurer avec tes gestes mélodieux. Ce n’est qu’après ton numéro que j’ai appris tout ce que tu me cachais depuis deux mois. Non seulement tes trahisons répétées étaient rendues incalculables, mais tu avais aussi caché notre relation à cette ancienne flamme, celle dont tu ne te gênais pas de mentionner devant moi, confiant que je ne devinerais jamais rien.
J’avais mal. Un incendie avait ravagé tous mes organes. Comment moi, indépendante et solitaire, reconnue pour mon cœur de pierre, avais-je pu me retrouver là? Je ne voulais plus y croire. J’ai tenté de te confronter, mais tes mensonges étaient si puissants que tu en étais inébranlable. Je n’ai rien dit, rien fait. J’ai attendu, espéré, imaginé.
Puis mon instinct de survie s’est finalement manifesté. Je ne pouvais pas vivre dans cette illusion. Je ne pouvais pas contribuer à ton hypocrisie. Je ne pouvais pas être la victime. Je ne voulais pas être la victime. Aujourd’hui encore, je ne sais pas où j’ai pris toute cette force. Je ne sais pas comment j’ai fait pour y voir clair. Ce que je sais, c’est que tu ne m’as pas détruite. Tu n’as pas ce pouvoir-là. Tu ne l’auras jamais.