J’ai vécu de la violence conjugale.
J’écris avec délivrance ces mots que je n’ai jamais prononcés, que je ne me suis jamais avoués.
C’est que la violence est insidieuse et sournoise et l’image que je me faisais de celle-ci ne me
renvoyait pas mon reflet. C’est aussi que comme bien trop de victimes, j’en ressens une vive honte. Cela fait quelques années et depuis, je sais que je suis passée à autre chose. Je m’aime et je me le démontre au quotidien.
Pourtant, j’ai encore honte. Cette honte qui frétille en moi lorsqu’on aborde le sujet de mon ancien copain, et ce, alors que ces allusions sont clairement innocentes. La honte qui me brûle le visage lorsqu’on tente, maladroitement, de m’en parler, de me dire que je ne méritais pas une telle relation. La honte qui me pousse à balayer le sujet du revers de la main. La honte d’être restée, de ne pas être aussi forte et indépendante que je ne le croyais. La honte d’avoir été naïve.
Je sais que quelques personnes se doutent que cette relation, qui était ma première, était loin d’être idyllique. Je sais aussi que la majorité n’a absolument aucune idée de ce qui m’est arrivé et qu’encore aujourd’hui, rien ne me rebute davantage que l’idée de m’ouvrir sur mon vécu. Je ne veux pas que mes proches m’associent avec l’image préconçue des victimes de violence .Je ne veux pas être vulnérable et faillible. Je ne veux pas les peiner.
Pourtant, j’aimerais être forte et pouvoir partager ma fierté de m’en être sortie, d’avoir brisé mon pattern et d’avoir agi avec amour envers moi-même. J’aurais aimé partager le sentiment de libération qui m’a assaillie lorsque j’ai quitté mon ex. Lorsque je me suis enfin choisie.
Comme je l’ai mentionné, je ne corresponds pas aux victimes types. J’ai une belle famille qui m’aime et me soutient, j’ai des amis proches et un filet social solide. Je suis ambitieuse et je mène une vie active où je multiplie les projets. Je n’ai jamais vécu de drames autres que celui-ci et je suis globalement très heureuse. Je me demande souvent où se trouve la faille par laquelle la haine et le ressentiment sont entrés en moi. Je suis à l’affût, je m’épie constamment. Je voulais être aimée et je ne savais pas comment les relations se devaient d’être. Comme beaucoup de gens, hélas.
Après l’excitation des débuts passée, j’ai réalisé avec lucidité que ma relation était malsaine, mais une peur de la solitude me tenaillait le ventre et je persistais.
Je n’ai pas vraiment vécu de violence physique, on m’a serré les poignets et tiré les cheveux une fois, mais le reste était moins palpable.
Ta gueule. Personne n’en a rien à foutre de ce que tu dis. T’es conne. Salope. Personne d’autre que moi ne voudrait être avec toi. Pute.
Ce sont les paroles qui m’ont été adressées et dont je garde le souvenir, le reste s’est dérobé à ma mémoire. Encore une fois, j’écris ces mots et j’ai honte de m’être laissée traitée ainsi. Je ne comprends toujours pas vraiment. Je me souviens que je ressentais souvent un vif malaise au quotidien et que je me sentais étouffée, moi qui suis de nature indépendante.
Je sais que j’ai laissé un peu de qui j’étais et que lorsque cette relation s’est terminée, je me suis retrouvée et je suis devenue plus exigeante dans mes relations. Je sais aussi que malgré tout, j’ai été heureuse pendant l’année qu’a duré cette relation et que lorsque d’autres évènements de ma vie ont également basculé, éléments sur lesquels je m’appuyais, la détresse m’a engloutie.
Je sais aussi que la fin de cette relation s’est imposée en moi comme une certitude, une sérénité qui contrastait dramatiquement avec le tumulte de notre relation.
Je vais bien depuis longtemps et je ne pense plus à cette histoire. Par contre, j’aimerais un jour ne plus ressentir cette honte et oser en parler ouvertement à mes proches et aux autres. Je souhaiterais être forte.
Je souhaiterais aussi que si une personne lisait ces lignes et se reconnaissait dans mon histoire, qu’elle n’ait pas honte. Ce que les autres nous imposent ne nous définit pas et ne nous diminue pas. Personne n’est à l’abri et personne n’est fautif de souffrir. Je n’ai pas été aussi forte que je souhaitais l’être et c’est correct, ça ne me rend pas coupable pour autant.