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Être accomplie, ça veut dire quoi?

Quand j’avais 7 ans, l’animatrice de pastorale, appelons-la Sylvie, avait demandé à ma classe de deuxième année ce qu'était le respect de soi. (On avait la pastorale pas mal deep aux Ursulines de Québec.) J’avais répondu : « Se respecter, c’est être exigeant envers soi-même tout le temps pour ne pas rater ce qu’on fait ».

J'avais utilisé « ne » pour vrai en parlant. 

Sylvie avait eu un air mi-impressionné, mi-paniqué.

Donc c’est ça : l’obsession de l’accomplissement me hantait dès le début de mon primaire. « Quand je serai grande, il faut que je sois bonne » était déjà un leitmotiv pour moi. 

J’ai eu 30 ans et j’ai paniqué. Je suis « grande », là, je me disais. Est-ce que je suis « bonne »? Aurais-je satisfait la petite fille de 7 ans qui maîtrisait les structures de phrases négatives? Serait-elle contente de voir que j’ai encore un emploi précaire? Que j’habite un 4 ½  dans Pointe-Saint-Charles? Que je n’ai pas d’enfant, de voiture ou de REER? Est-ce qu’elle trouverait que j’ai raté ce que je fais? Ces questions-là m’ont gardée réveillée beaucoup trop de fois à 3 heures du matin.

Il y a (trop) peu de temps, j’ai réalisé leur absurdité. Une nuit, à 3 heures, justement, ça m’a frappée : ma vision de l’accomplissement n’avait pas changé depuis mon enfance. Avec mon syndrome de la bonne élève, je voyais encore ça comme l'abstraction que le dictionnaire décrit : la parfaite traduction en actes d'un idéal, d'une aspiration. Mes yeux exigeants n’arrêtaient pas de buter sur les mots « parfaite » et « idéal ». En plus, cette perfection, cet idéal, reposait sur des critères par rapport auxquels je ne trouvais aucune raison valable de me positionner.

Je me targuais de ne pas me conformer à un certain modèle de vie. En même temps, je me sentais poche de n’être pas parvenue à atteindre ce modèle. La source de mon malaise n’était rien d’autre que mes propres contradictions et la dépréciation infondée qu’elles provoquaient.

T’sais, ça va peut-être me prendre 27 ans et demi pour obtenir une permanence, mais je travaille et je pense que je fais une job pas pire la plupart du temps. Mon quartier est badass. Mon appart en face d’une usine, avec ses craques dans les murs, ses planchers irréguliers et le bruit du train qui passe tout près comme dans un roman de Gabrielle Roy, c’est l’endroit où je me suis le plus sentie chez moi depuis longtemps. Des enfants, je n’ai jamais été sûre d’en vouloir. Mes parents sans permis de conduire m’ont appris qu’une voiture, ça n’est pas essentiel. J’ai des livres, des chats, Netflix, mon monsieur (pas nécessairement en ordre d’importance, ha!). Ça me suffit. J’ai juste à assumer que je suis fière de mes choix et de mes convictions, et que je veux passer le reste de ma vie à construire quelque chose sur cette base-là.

Maintenant, je pense que c’est ça, surtout, m’accomplir. Trouver la beauté d’un mouvement vers le mieux. Apprécier le courage qu’exige chaque acte nouveau. Savoir me dire : « Fille, tu t’es levée et t’as fait [insérer quelque chose de stressant ici] même si tu retenais un petit pipi de peur, même si le résultat était un peu tout croche, même si la licorne que tu voulais créer ressemble à un poney avec une corne en plastique sur la tête. Tu t’es battue comme une fucking amazone dans le chaos et la sueur ». (Dans mon cas, la sueur n’est jamais une métaphore.)

J’ai le fou désir de continuer à devenir ce que je suis, sans auto-flagellation et sans complaisance.
Je suis moi. Je suis debout. Je veux le rester. 

C’est assez.

Qu’est-ce que c’est, l’accomplissement, pour vous? Est-ce que votre définition a changé avec l’âge?

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