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Très chère Marie-France Bazzo
Crédit: Ton petit look

À qui de droit, 

En grandissant, ta voix et celles de dizaines d'autres ont bercé mes matinées et mes fins de semaine d'hiver passées à la campagne chez ma grand-mère, et ont meublé les longues heures de route pour s'y rendre. Chez moi, un seul poste de radio existait et c'était le 95,1. C'est encore le cas d'ailleurs. La voix des femmes et des hommes qui animaient et pour la plupart qui animent encore à la radio de Radio-Canada ont éveillé ma passion de l'information, de l'actualité et des sphères politiques, sociales et économiques. C'est ce formidable assemblage de personnalités passionnées et brillantes qui ont fait que ce que, je préférais écouter le vendredi soir, ce n'était pas la Fureur, mais bien l'émission Zone libre qui suivait. 

Si, à l'époque, ma conscience féministe n'existait qu'à travers les valeurs que ma mère tentait de me transmettre jour après jour, c'est ton existence et celle des nombreuses femmes que j'ai écouté discuter, débattre et vulgariser qui m'ont montré que je n'avais pas à me limiter aux rôles qu'on donne aux femmes dans de trop nombreux films, magazines et émissions de télévision qui s'adressent aux jeunes filles. C'est ta voix qui m'a appris à aspirer à plus. 

Si mon apprentissage du féminisme s'est fait ailleurs, un peu par essai-erreur et beaucoup à travers mes lectures obligatoires universitaires, je suis convaincue qu'il a réellement commencé par l'existence des modèles fantastiques que toi et tes consœurs représentiez et représentez encore pour moi. 

Mon féminisme à moi, il n'exige de toi et de toutes les femmes que la volonté d'aspirer à plus. Plus de liberté, plus de reconnaissance, plus d'égalité, plus de possibilités. Mon féminisme veut plus pour les femmes marginalisées. Mon féminisme aspire à plus pour les jeunes adolescentes qui sont brisées par le moule, génération après génération. Mon féminisme divise parfois, je l'admets. Il est parfois dur, intransigeant, révolté. Toutefois, c'est celui que j'ai choisi pour des raisons et des valeurs profondes qui me sont propres. Mais s'il y a quelque chose de magnifique avec le féminisme, c'est qu'il est mobile, qu'il s'ajuste aux valeurs et aux convictions de celles à qui il s'adresse : les femmes.

Pour ce qui est du mot et de sa définition, je suis convaincue que le « isme » de féminisme est en soi une erreur étymologique, parce que le féminisme n'est pas une idéologie, c'est un mouvement social. Croire que l'inclusion et l'égalité sont du domaine de l'idéologie et les comparer à des modèles alternatifs d'organisation sociale ou économique est une grave erreur. Il n'y a pas d'autre possibilité, il ne s'agit pas d'un modèle idéal. Il s'agit d'une modification essentielle de nos structures pour qu'elles cessent de constamment privilégier un genre et de stigmatiser, violenter et exclure l'autre.

Dériver le débat sur l'égalité en un débat sur le mot idéal pour la qualifier est une insulte à l'intelligence de toutes les femmes, ainsi que de celles qui se sont battues pour l'avancée de leurs droits à travers l'histoire. Alors je ne suis pas égalitaire, je ne suis pas humaniste, je suis féministe et je refuse qu'on m'insulte en analysant la pertinence du titre que je décide d'utiliser pour me définir. 

Mon féminisme accepte le tien, parce qu'il reconnaît la valeur de ton féminisme, même si tu refuses de le considérer comme tel. Mon féminisme refuse toutefois catégoriquement que tu le réduises à une idéologie enragée et exclusive. Je refuse qu'on m'insulte en m'associant à une idée partagée, mais erronée, que ma volonté d'aspirer à mieux ait quoi que ce soit à faire avec la haine des hommes ou des femmes qui décident de vivre leur vie différemment. Et c'est pourquoi je t'ai écrit cette lettre. 

Sans rancune, 

Jeanne. 

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