Dans la première partie de ce texte, que j’avais décidé de publier de manière anonyme, je vous racontais ce qui m’est arrivé en mars 2014. C’est en grande partie grâce à l’écriture et la publication de cette histoire, mon histoire, que j’ai commencé à briser le cercle vicieux qu’est celui de la dissociation.
C’est également grâce à l’ouverture, l’écoute et la compréhension de l’équipe de Ton petit look que je suis en voie vers la guérison aujourd’hui. Par contre, ce qui a eu la plus grande influence sur mon état a été vos réactions. Vous m’avez crue, vous n’avez pas remis en doute mon histoire, alors que je n’y croyais pas tout à fait moi-même. Je vous remercie mille fois pour ça.
Afin de continuer dans mon cheminement, pour enfin arrêter de me dissocier de mon agression, pour finalement la considérer comme un moment de ma vie plutôt qu’une histoire qu’aurait subi quelqu’un d’autre, j’ai décidé de continuer ce récit sans le couvert de l’anonymat. Trop d’histoires de ce type restent sans nom, sans visage, mais cette histoire est la mienne et je veux cesser de l’ignorer.
Puisqu’un trouble de stress post-traumatique se divise souvent en plusieurs phases, je vous raconterai le tout en différentes parties correspondant aux différentes étapes que j’ai franchies.
Le lendemain de mon agression, quand je suis retournée chez moi, j’étais incapable d’effacer les traces qu’elle avait laissées. Je passais frénétiquement d’une pièce à l’autre, essayant de reconstituer l’évènement. J’étais obsédée. Puis, mon copain, qui habitait à deux heures de route, est enfin arrivé. Alors que je voyais mon appartement comme une scène de crime qui n’attendait qu’à être élucidé, que je n’arrivais pas à relier à mon chez-moi, tout ce qu’il pouvait voir était le lieu où la personne qu’il aimait s’était fait agresser. Le déroulement de la journée est encore flou dans mes souvenirs.
Je sais que les tiroirs ont été refermés, que la poudre blanche qui recouvrait mes meubles a été effacée, que le vomi a été nettoyé, que ce qu’il restait de ma literie a été mis aux poubelles. Heureusement, c’était le jour de ma paie, nous nous sommes donc rendus au centre-ville, bondé de gens pressés. Tandis que nous essayions de nous faufiler parmi eux afin d’acheter couette, oreillers et draps bon marché, j’étais troublée à l’idée que tous ces gens n’avaient aucune idée de ce que je venais de vivre.
C’est une idée qui, encore à ce jour, m’obsède : nous n’avons aucune idée de ce que les gens qui nous entourent vivent ou ont vécu. Quand je m’arrêtais devant une simple housse de couette, qui me rappelait celle qui me couvrait quelques nuits auparavant, les gens impatients de voir la marchandise, qui voulaient que je me tasse de là, ne pouvaient se douter que j’étais coincée dans mes pensées, à essayer de me souvenir de mon viol.
Les deux semaines suivant mon agression se sont déroulées à la vitesse de l’éclair, me semble-t-il. Les rendez-vous se succédaient, allant de ceux avec le sergent-détective qui s’occupait de mon dossier à ceux d'ordre médical, durant lesquels je passais une batterie de tests, juste au cas où l’homme qui avait violé tout ce que j’avais de plus précieux – mon corps, ma sexualité, mon intimité, mon chez-moi – aurait eu le sida, l’hépatite ou n'importe quelle autre ITSS. Mon copain, si occupé normalement, ne m’a pas quittée une seule seconde durant ces deux semaines. Sans même que l'on s’en aperçoive, notre cohabitation avait été précipitée.
Immédiatement après mon agression, je me suis inconsciemment dissociée de celle-ci. C’était trop gros, trop irréel. Mon histoire, lorsque je la racontais, semblait tout droit sortie d’un film policier dont les intrigues étaient ridiculement improbables et exagérées. Je ne me souvenais pas de mon agression et cela n’aidait en rien ma dissociation face à cette dernière. À ce jour, je ne sais toujours pas si cette amnésie en est une causée par une drogue, ou s’il s’agit d’amnésie post-traumatique.
J’ai tellement voulu continuer à vivre normalement par la suite, je tenais à ce que mon agresseur ne m’ait pas tout enlevé. Je me suis accrochée aux projets que j’avais faits, comme mon retour aux études et mon voyage à venir. Aussi ridicule que cela puisse paraître quand j’y repense, je chérissais les trois lettres d’admission à l’université qui étaient, elles, restées accrochées à mon réfrigérateur parmi tout ce chaos. J’étais heureuse qu’il ne les ait pas touchées et qu’elles n’aient donc pas été prises comme pièces à conviction.
Avec mon copain, nous avons même réussi à trouver, en l’espace de deux semaines, un nouvel appartement dans lequel nous pourrions repartir à zéro lorsque le mois de juillet arriverait enfin.
Après ces deux semaines à vivre dans un épais brouillard, je suis partie pour La Nouvelle-Orléans. Malgré toutes les objections de mon entourage à l’idée que je sois seule à l’autre bout du monde, alors que je n’avais toujours pas été capable de sortir seule dans les rues de Montréal et que j’avais refusé toute médication contre l’anxiété, j'avais décidé de partir.
Comment allais-je réagir en étant seule dans un endroit inconnu? Mais je devais affronter la peur. Je devais fuir la réalité, celle d'un évènement qui me semblait encore irréel, celle d'un entourage qui, ne sachant pas comment réagir, se montrait silencieux. J’étais soulagée à l’idée de quitter tout ça, ne serait-ce que pour un court moment.
À suivre.