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Lettre à un intimidateur.

Auteur: Aurélie Couture
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Lettre à un intimidateur.
Crédit: cinema52

Cher dude de ma troisième secondaire,
 
Ça fait un bout. Je ne sais pas si tu te souviens de moi. C’est difficile à dire : quand je t’ai connu, tu mettais beaucoup d’énergie à trouver les raisons pour lesquelles je n’étais pas mémorable. Paradoxe, t’sais.
 
Moi, je me souviens de toi. Je me souviens de ton nom, de la couleur de tes yeux, de ton linge de faux rappeur qui écoutait Manau. Je me souviens de ton incomparable noblesse d’âme : ramasser deux sous-fifres amis pour écœurer une fille qui venait d’arriver à ton école pour la suivre dans les corridors en commentant son apparence, pour chuchoter des affaires suggestives pendant qu’elle répondait aux questions en classe, c’est crissement digne du roi de la tribu de Dana.

Crédit : fuckyeahthe-office/tumblr

 
Je me souviens que j’avais mal au cœur, le matin, quand je savais que j’aurais des cours avec toi. Qu’à un moment donné, j’étais rendue à planifier mon itinéraire d’un local à l’autre pour t’éviter le plus possible. Que si je n’avais pas eu envie de pleurer, j’aurais trouvé le responsable de la vie étudiante très drôle quand il m’a dit : « Tu devrais essayer de lui parler pour régler le problème. »
 
Ça m’arrive de me demander si tu t’es ennuyé de moi quand j’ai changé de collège au milieu de l’année. As-tu trouvé une autre « déesse »? C’est le surnom que tu me donnais, tu te rappelles? Ça et « robot russe ».
 
T’étais inventif, 'faut te donner ça.
 
T’as fait une pas pire job de destruction, aussi. Quand je suis partie, la petite voix désagréable au fond de moi, celle qui s’était mise à parler plus fort grâce à toi, me disait que j’avais fui comme une lâche. Que j’étais trop faible pour tenir tête à qui que ce soit. Que peu importe où j’irais, je croiserais toujours quelqu’un qui me traiterait comme tu m’avais traitée. Que tu disais la vérité, au fond : j’étais une loser pis je devais me le faire rappeler.
 
Quand je regarde des photos de cette époque, je vois cette conviction-là. Elle est facile à repérer. Elle est l’absence dans mes yeux. Elle est le léger affaissement de mes paupières. Elle est le sourire esquissé juste parce qu’il le faut. Elle est tout ce qui me donne l’air de ne pas avoir 14 ans pour vrai.
 
Elle a fini par s’estomper. Ç’a pris du temps. Ç’a pris les filles incroyables de ma nouvelle école secondaire. La confiance et les confidences qu’elle m’ont faites. L’estime qu’elles ont manifestée pour ce que toi, tu méprisais, aka le fait que je connaissais des affaires culturelles et que j’étais bonne à l’école. Grâce à elles, j’ai su prendre une place qui me plaisait. J’ai su me rappeler que je ne me réduisais pas à la définition de moi que tu avais formulée.
 
Je pourrais te remercier, te dire que sans toi, ces filles-là, mes grandes amies, je ne les aurais jamais rencontrées. Je pourrais te dire que je te pardonne, que je te souhaite d’être plus heureux et mieux avec toi-même que tu l’étais, il y a 17 ans, quand t’avais besoin de varger sur quelqu’un pour te faire croire que tu valais quelque chose.
 
Je vais être honnête : je n’ai envie de te témoigner ni gratitude, ni clémence, parce que tu vois, t’es encore trop là à mon goût. Quand j’arrive dans un nouveau milieu, j’ai le réflexe de chercher un sourire condescendant comme celui que tu m’adressais, juste pour m’en éloigner. Quand quelqu’un que je ne connais pas bien me taquine, j’ai tendance à croire que c’est parce qu’il me veut du mal. Et quand je ne me trouve pas à la hauteur d’une tâche, la petite voix que je dois faire taire, celle qui me dit que je vais forcément être nulle parce que je le suis tout le temps de toute façon, c’est ta voix à toi.
 
Je sais que c’est du travail sur moi-même que je dois faire pour me débarrasser de toi. Je sais aussi que ce travail, je suis capable de le faire, et je me dis qu’il commence par la formulation de ces mots-là, que j’ai gardés pour moi pendant trop d’années. Des mots qui, j'en suis sûre, vont mener au jour où j’aurai assez de détachement pour te pardonner… ou juste pour t’accorder, en t’oubliant, ce que tu mérites.
 
Bye, là.

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