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Festival de Cannes : antiféministe?
Crédit: bazoocam.org

Écrire un billet sur le Festival de Cannes d’un angle féministe est à la fois trop beau pour être vrai, déstabilisant et peut sembler vain. Je dois admettre que « l’analyse » féministe d’une manifestation d’une si grande opulence m’embête un peu. Il y a, à mon humble avis, assez d’inégalités de sexes, de genres et de classes à quelques pas de chez moi (même que ma propre personne en génère et en subit abondamment) que de se pencher sur un tel évènement glamour et éloigné me semble, à première vue, superficiel et inutile. Je serais même tentée d’appeler ça bêtement du first world feminism. Mais je refuse de le croire : il y a forcément quelque chose à dire. Il y a toujours quelque chose à dire, même lorsque ça ne semble pas, à première vue, nous concerner.
 
Commençons par le bas. Ou plutôt, par le haut.
 
Mal chaussées

Je pourrais, bien entendu, parler du « scandale » des talons hauts. Une femme aurait selon toute vraisemblance été obligée de changer de chaussures puisqu’elle portait des talons plats lors d’une projection, il y a quelques jours, provoquant l’ire généralisée. C’est qu’il y a un dress code strict sur le tapis rouge du Festival, tant pour les hommes que pour les femmes. Et tenue de soirée est synonyme de talons hauts, dirait-on. Quiproquo? Personnel un peu trop sur les dents? Qui sait.
 
Si les fashionistas féministes réclament le droit de porter des talons hauts coûte que coûte (après tout, chacune porte bien ce qu’elle veut), d’autres prétendent que ces derniers limitent la mobilité des femmes notamment en les empêchant de se sauver en cas d’agression, n’existent que pour la séduction des hommes et sont évidemment très inconfortables. On peut même y voir le symbole d'une certaine violence sexuelle.
 
Personnellement, je suis plutôt du second avis (bien qu’il m’arrive d’en porter). Mais c'est ma réflexion. De plus, il me semble y avoir une contradiction entre porter aux nues son inaliénable choix de souliers vertigineux et crier au scandale lorsque celui-ci est « imposé » par un simple code vestimentaire. Peut-être pour se conforter dans nos choix qui sont parfois contradictoires, je trouve qu’on accepte/affirme beaucoup de choses sous le couvert de « l’égalité » ou du « droit absolu de choisir ». Remarquez que je dis bien « contradictoires », et non « incompatibles ». Mais je n’ai pas de réponse. Peut-être que celle-ci se trouve justement dans la réappropriation par les femmes de ces symboles de domination masculine. Loin de moi l’idée d’imposer mon point de vue, mais il importe de se questionner… pour mieux avancer (tudumsti!).
 

 
Pas de place

Dans un autre ordre d’idées, on accuse chaque année le Festival de ne présenter en compétition officielle que très peu de films réalisés par des femmes, voire aucun. Doit-on rappeler que la Palme d’or, en 68 éditions, n’a été décernée qu’une seule fois à une femme? Un hasard? Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, a affirmé que Cannes ne ferait pas dans le sexisme positif, puisque jamais un film qui n’a pas sa place en compétition pour sa qualité ne s’y retrouverait uniquement parce qu’il a été réalisé par une femme. Ma compréhension de cette affirmation est qu’au final, moins de films réalisés par des femmes méritent de se retrouver en compétition, selon lui. Cher Monsieur, même si ce n’est pas exactement ce que vous vouliez dire (Frémaux admet qu'il y a bel et bien un problème – mais qu'il faut y voir autrement que pendant le Festival!), ce n’est probablement pas ce qu’il fallait répondre.
 

 
Rôles secondaires

On parle beaucoup du film Mad Max depuis quelques jours. N’empêche que la plupart des films hollywoodiens et des films en général, particulièrement ceux destinés au « grand public », relèguent les rôles féminins au plan de faire-valoir, de petite copine ou de simple accessoire sexy. Même lorsqu’il s’agit de rôles principaux, les personnages féminins se définissent presque toujours exclusivement par leur rapport avec les personnages masculins (ex. la blonde de, la mère de, l’enfant de, l’acolyte de, la boss de, la fille convoitée par, la fille en peine d’amour de, la fille qui se venge de, l'ex de, etc.) et leur évolution en dépend entièrement, bien qu’il puisse s’agir de personnages forts, émancipés, peu conventionnels, etc. Lorsqu’il en est autrement, comme ce fut le cas, par exemple, avec La vie d’Adèle ou présentement, avec le film Carol, cela choque inévitablement. Même que la censure s'en mêle parfois.
 
Iniquité

C’est bien connu, les vedettes hollywoodiennes femmes sont moins bien payées que leurs comparses masculins, pour des rôles équivalents. Patricia Arquette n’a pas manqué de le rappeler lors de la dernière cérémonie des Oscars. En conférence de presse à Cannes, Salma Hayek a déclaré : « They don’t see us as a powerful economic force, which is an incredible ignorance. »
 
Certes, on parle de millionnaires qui ne font absolument pas pitié. Mais pensez à la caissière du coin, à l’adjointe, à l’enseignante, à la vendeuse ou à la travailleuse de manufacture… Si les inégalités de sexes et de genres sont évidentes dans les plus hautes sphères de la société malgré les paillettes, les soirées ultraglam et les millions investis en promo, imaginez leurs conséquences chez les plus vulnérables d’entre nous. Et surtout, cela envoie un message fort discutable à la planète entière. Les stars ne sont-elles pas supposées être au sommet et leur situation enviée par toutes et tous? La route est longue.
 
Corps à vendre

Qui dit « grand rassemblement de gens riches » dit inévitablement ou presque prostitution. Le Festival de Cannes, avec le Grand Prix de Monaco, représente une conjoncture plus que favorable au trafic des femmes. Elles sont des centaines, voire des milliers, souvent venues d’Europe de l’Est, à débarquer sur la Côte d’Azur pour y travailler, pas toujours dans des conditions saines, on s’en doute. Des escortes de luxe à 40 000$ la nuit aux filles peut-être pas tout à fait majeures, les filles sont, à Cannes, pour beaucoup d’hommes riches, une simple marchandise, au même titre que du room service dans un hôtel de luxe. Parenthèse : en 2013, le réalisateur François Ozon, alors au Festival pour y présenter son film Jeune et jolie avait déclaré que la prostitution était un fantasme féminin très répandu. Eh bien! Merci pour cette séduisante affirmation, et, surtout, merci de parler à notre place.
 


Crédit : cpp-luxury.com

 
Violence

Enfin, au moment où j’écrivais ces lignes, une vedette de téléréalité s’était apparemment fait tabasser quelques heures plus tôt dans une boîte de nuit cannoise pour avoir refusé les avances d’un homme. Ai-je besoin d’en rajouter?

 
Oui, il y a beaucoup d’aspects dont on peut parler. Après tout, quand tous les yeux sont tournés vers un tel évènement, il y a fort à parier qu’ils ne regardent pas toujours à la bonne place.
 
Bonne édition 2015 à toutes!
 


Crédit : hercampus.org
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