Le jour où j’ai réalisé que la féminité ne se calcule pas en taille de bonnet.
Vanessa Delisle-HélieJ’ai quatorze ans. Je fixe dans la glace ma poitrine d’adolescente qui me dévisage. Deux moitiés d’abricots.
Alors que mes amies se montrent leur nouvelle brassière de chez La Senza (t’sais celles avec de la dentelle cheap qui fait des moumous au lavage), moi je porte encore des « tops ». Je pourrais ne pas en porter du tout. J’ai juste peur. Peur des sourires en coin qui s’enlaidissent tandis qu’ils se tournent au creux d’une oreille.
Je pogne ma féminité et je la mets en boule dans le panier de linge sale. Je préfère brouiller les pistes que d’être « sur les pines », comme dirait l’autre. Les Britney et les Christina de ce monde auront eu raison de moi.
À dix-sept ans, les racks des grands magasins débordent de double push-up et de rêves désillusionnés. Une poitrine en coton. Je me fais à croire que je porte un 34-B pour la modique somme de trente dollars; peu cher payé, considérant que mon crush du cégep pose enfin les yeux sur moi. Ça ne m’a même pas effleuré l’esprit qu’il appréciait peut-être autre chose que le nombre de grains de beauté dans mon décolleté.
Comme une dent joliment croche ou des épaules bien dessinées.
J’associe la réussite sociale à ma vision biaisée de la réalité. Mais qui a dit que féminité rimait avec la taille de bonnet? 32-A ou 36-D, mon reflet me renvoie toujours ces seins frémissants d’insécurité. Les mains et les yeux se relayent sans vraiment rien y changer.
À dix-neuf ans, je vois une femme dans un café. Dans la cinquantaine, environ. Ses cheveux tirés dans un chignon lousse, un col bateau, sans soutien-gorge. Elle souffle sur son café en frottant ses yeux fatigués, dénués de mascara. Elle tend la nuque pour regarder par la fenêtre. Finit son café d’une traite. Prend une tarte pour emporter. Elle quitte le café.
J’ai trouvé : elle dégage le mystère. Elle suggère. Je l’ai trouvée belle autrement. C’est peut-être ça, la féminité.
Le lendemain, j’ai commandé une tarte.
Aux abricots. Pis je l'ai dégustée.