On pense savoir à quoi ressemble un viol. Depuis que nous sommes des jeunes filles, on doit éviter certains endroits, suivre des cours d’autodéfense, investir dans des sous-vêtements antiviol, porter du vernis à ongles antiviol et j’en passe. Je craignais une soirée de débauche, un inconnu, une bataille. Mais les agressions sexuelles, ce n’est pas toujours pareil. Pour moi en tout cas, ça a été différent.
Je l’ai rencontré dans un bar. On a passé la soirée ensemble, c’était bien. On s’est fréquenté environ 2 semaines. Au lit, il était un peu agressif, sans être violent, mais j’aimais ça, au début. Ensuite, le sexe est devenu un peu trop aventureux à mon goût – c’était un peu trop rough. Au fil des semaines, des fissures sont apparues aussi : il disait aimer taquiner les filles, il aimait être « le tannant » et il parlait toujours de son ex. Bref, je me suis désintéressée.
Pour des raisons que je ne peux expliquer, je l’ai invité chez moi une dernière soirée. Il m’a dit à quel point il aimerait me voir et je n’ai pas refusé. Il est arrivé chez moi. On parlait, j’étais fatiguée, je voulais dormir. Il insistait pour me toucher et me licher. J’ai refusé. Il m’a dit que j’étais weird parce que je refusais, qu'il savait très bien que j'aimais ça dans le fond. Je me tassais, il s’approchait. J’étais nue. J’ai dit non. J’ai dit non. J’ai dit non. Mais il l’a fait quand même. Il me disait à quel point j’étais chanceuse puisqu’il avait couché avec plein de belles filles aventureuses qui n’auraient jamais refusé ses avances.
Je n’ai pas crié au viol. Je ne lui ai pas dit de sortir de chez moi. Je suis restée couchée, confuse et violée pendant qu’il ronflait à mes côtés. Quelques jours plus tard, j'ai trouvé ses bobettes sales qu'il avait laissées dans mes draps.
J’ai arrêté de l’appeler et j’ignorais ses appels, même lorsqu’il m’appelait plus de vingt fois par jour. Quelques semaines plus tard, il a cogné à ma porte lorsque j’étais seule à la maison. Il a insisté pour rentrer, je lui ai dit de partir. Les appels constants ont continué, suivis de longs messages où il ne disait pas grand-chose pendant plusieurs minutes. Finalement, après environ 1 mois de harcèlement, il m’a téléphoné au travail. J'ai paniqué et mentionné à ceux qui étaient présents que c’était un gars qui me harcelait. J'ai eu droit à des commentaires du genre « Wow! Tu lui as fait tout un effet! » ou pire « Wow! Tu dois vraiment être bonne au lit. » Une seule collègue s'en est vraiment inquiétée.
J’avais pensé porter plainte pour harcèlement auprès de la police, mais vu la réaction de mon entourage, je me suis dit qu’on ne me prendrait pas au sérieux. J’imaginais un bombardement de commentaires mal placés du genre boys will be boys. J’étais aussi nouvelle à Montréal et j’avais peu d’amies à qui je pouvais me confier.
Très réservée de nature, j'en ai pas reparlé depuis. J’ai refoulé mes sentiments et essayé d'oublier l'incident. J’ai conclu que c’était de ma faute : j’avais sûrement été trop intense dans ma vulnérabilité, je lui avais donné de faux espoirs. Bref, je l’avais mérité.
L’affaire Ghomeshi a tout renversé. Le questionnement de la légitimité des allégations et la mise en question du comportement des femmes face au harcèlement/abus on fait que j’ai pété ma fucking coche. Je ne peux plus refouler, je ne veux plus garder le silence. La semaine dernière, j’ai pleuré pendant 2 jours : pour la première fois depuis l’incident, je me suis enfin avoué que j'ai été violée.
Ce n'était pas de ma faute. Je mérite qu'un non soit final, peu importe mon habit, ma face, mon état d'ébriété, mon éducation, mon sexe ou ses blue balls. Il est temps pour moi de m'approprier mon histoire et par conséquent, ma vie.
À celles qui se reconnaissent dans mon texte, je vous invite à faire pareillement. On doit accepter afin de guérir. #agressionjamaisdénoncée