J’ai commencé à m’entraîner régulièrement il y a deux ans et demi pour évacuer mon stress universitaire. J'aime vraiment mon gym. Les cours de groupe sont awesome, le monde est fin, le personnel est qualifié et tout. Mais… c'est un gym, avec tout ce qui l'accompagne. Les conversations fréquentes sur le régime alimentaire. Les coups d'oeil discrets aux autres au miroir. Les interrogations sur le nombre de calories perdues.
Je ne jouerai pas la gardienne de la vertu : je ne suis à l'abri de rien de ça. Mais, depuis quelques mois, je m'efforce de repenser ma relation au fitness. Une des raisons? Mon contact avec les entraînements créés par une compagnie californienne que j'appellerai subtilement « corps de plage ». Ces entraînements sont vendus en DVDs, avec calendrier, plan de nutrition et shakes de « superaliments » en extra. Mais ils se donnent aussi live.
Et ils participent à une culture qui me dérange.
Attention : je ne veux pas dire qu'un « corps de plage », c'est de la marde. Je suis la première à trouver que les workouts, en eux-mêmes, sont efficaces et l'fun. J'en fais encore de temps en temps, d'ailleurs. Je ne veux pas non plus juger les gens qui ont choisi de devenir des ambassadeurs de l’entreprise. Ce serait condescendant, et surtout injuste pour des professionnels compétents, remplis de bonne volonté, que j’aime beaucoup.
C'est envers la philosophie de la compagnie que j'ai, disons, des réserves. Et j'en suis à me demander comment concilier ces réserves avec mon entraînement sans paraître inconséquente.
D’abord, le nom me met sérieusement mal à l'aise. L'entreprise a beau confier sa préoccupation (louable) pour la réduction du taux d’obésité, l’essentiel de son message reste clair : l’exercice, ça sert les apparences en premier. C’est fait pour modeler un corps. Et pas n’importe quel corps, là : le seul corps qui mérite d’être montré sans honte dans un maillot. Un corps similaire à celui des entraîneurs qui, dans les vidéos, offrent à la caméra la topographie de leur derrière bombé, de leurs biceps et de leur six pack vallonneux.
Ce corps-là, personne ne cracherait dessus, pas vrai? « Tout le monde veut être en forme et perdre du poids », dit leur site Web. Tout le monde, comme dans « 100 % de la
population ». Qui refuserait le laissez-passer vers l’estime de soi offert par la disparition des plis de fesses? Qui contesterait la validité de l’équation perte de poids = démonstration de volonté = preuve de valeur personnelle? Qui détournerait les yeux d’une recette destinée à compléter cette équation en 60 ou en 90 jours?
La compagnie semble se présenter comme la voie d'accès à un idéal universel. À une beauté consensuelle, symbole de réussite. Elle propose une solution extérieure à un problème intérieur.
Or, elle est fragile, la solution : la matière qu'on sculpte pendant 2-3 mois reste malléable. Le monument à la volonté qu'on construit n'est pas à l'abri de l'affaissement. S'il s'affaisse, ça voudra dire quoi? Qu'on a échoué? Qu'on ne mérite plus d'être fier de soi? Et s'il ne s'affaisse pas? Sera-t-on heureux? Ou sera-t-on inquiet? Dans tous les cas, n'aura-t-on pas perpétuellement besoin de nouvelles solutions extérieures?
Je lance ces questions : je ne prétends pas avoir la réponse.
Ce dont je suis sûre, par contre, c'est que je n'aime pas qu'on brandisse une image en laissant entendre que je pourrais lui ressembler si j’avais assez de force de caractère. Qu'on accole l’étiquette de cheat meal au burger que j’ai mangé vendredi soir avec des frites double dippées dans le ketchup et la sauce barbecue. Qu'on essaie de me convaincre de boire trois gallons d’eau en trois jours pour « nettoyer mon corps après des excès » et « être plus performante ». Qu'on présente l’exercice et ses produits dérivés comme une panacée.
J'aime bouger, mais je refuse que l'entraînement devienne une béquille ou une planche de salut. Je souhaite qu'il reste une activité indépendante du degré de respect que j’ai pour moi. Une activité que je continuerais de pratiquer même si la minceur et la fermeté arrêtaient d’être in. Quelque chose qui n’a rien à voir avec le pourcentage de gras, l’ingestion massive de jus de betterave, les cures détox ou la lecture de motivational quotes. Quelque chose qui me fait dire : « Je m'amuse ».
Plutôt que de lutter pour remplir des critères étrangers à mon corps, j’aime mieux me battre pour changer la beauté. Pour désamorcer le réflexe qui fait froncer les sourcils devant la graisse de cuisses et le petit mou de ventre. Pour apprendre à me sacrer de la peau d’orange, des varices, des longs seins qui tombent. Pour sentir, et pas juste constater, que toutes ces choses changent sweet fuck all au potentiel esthétique d’un individu. Pour faire de la diversité corporelle et de l'acceptation de soi davantage qu'un beau principe.
À mes yeux, cette démarche-là est beaucoup plus importante et beaucoup plus exigeante que toutes les séries de push-ups au monde. Et je cherche très fort un moyen de la concrétiser dans ma routine d'exercices.
Avez-vous déjà eu ce genre de réflexion? Est-ce que ç'a influencé votre rapport à l'entraînement?