Ce nest presque plus Noël. Les sapins ont les pieds nus, jai fait cul-sec plusieurs fois et me voilà déjà rivée devant mon ordinateur avec la lassitude des jours anodins, prête à régler mes comptes avec la Nativité dont lallégresse méchappe.
Minuit passé, Noël expire. Il me semble quil y a un instant encore, je soupirais son avant-veille avec la mélancolie qui me taraude inévitablement dès que décembre étend sa chape sur la ville et que la neige en cacanne assaillit les vitrines des magasins. Pourtant, comme tous les jours filent sans quon ne les voie senfuir, les 24 et 25 se sont faufilés à pas feutrés. Deux ou trois songes, un souffle, puis ce fut terminé. Je nai rien senti, ils sen sont allés sans heurts
Mais alors que le passage fut relativement indolore, me voilà, pas plus fine, à me demander doù me viennent ces appréhensions par rapport à Noël. Oui, jai langoisse du Réveillon, et jhonnis la frénésie superficielle et mensongère qui porte les préparatifs de Noël. Ça, ce nest pas la première fois que je vous en glisse un mot. Et haïr Noël, on la fait sous tous les angles dans toutes les tribunes du monde, rien de nouveau sous le soleil. Mais ce soir, je me demande pourquoi? Après plusieurs verres de vin et un pot de betteraves marinées, je réalise quen fait, jai peur de Noël. Peur de Noël comme les enfants du bonhomme sept heures. Une angoisse denfant qui se berce de désillusions
Cette année encore, jai me suis réveillée le 24 avec la boule du mal-de-Noël. Jai trainé ma peau la journée durant, lil humide dun vague à lâme mal défini. Javais fait une vilaine insomnie la veille, à passer en revue les cadeaux quil me faudrait encore acheter, et à me demander ce qui pourrait faire de mon Noël un Noël exemplaire. Ne pas décevoir, ne pas anticiper, ne rien oublier. Jai également jonglé durant des heures avec les scénarios de déceptions potentielles : « sil fallait que jaie de la peine à Noël! ». Je nai pas beaucoup dormi. Pas du tout en fait. Et je me suis levée en détestant Noël, sans même de lui avoir laissé la chance de faire ses preuves.
Le plus curieux dans tout ça, cest que cest la même histoire à chaque année, mais je nai jamais eu de mauvaise expérience de Noël à proprement dit. Jai bougonné tout décembre à lidée que Noël arrivait avec ses soucis et ses grosses pattes de fausses joies et pourtant, les célébrations se sont déroulées sans embâcles. Comme dhabitude, en fait. Je réalise que si je déteste autant Noël, cest que jai peur dobserver un décalage péjoratif entre « mon » Noël et le « Noël heureux moyen ». Comme si la pression davoir des festivités à la hauteur du rêve américain me minait le moral à men faire haïr ce qui mest offert à lapproche des fêtes. Jai peur de décevoir tout autant quon me déçoive; comme si mon petit cur faiblot ne supporterait pas quon le prive dun moment destiné à être heureux. Autrement dit : jai peur dêtre triste et ça me rend triste.
Et maintenant que je le réalise, je me sens terriblement égoïste. En craignant que mes Noël soient décevants, je lève le nez sur la simplicité allègre qui les façonne depuis que je suis enfant. Aujourdhui, je fais amende honorable.
Mes Noël ne sont pas calqués sur un modèle particulièrement festif. Il faut dire que les circonstances ne jouent pas en faveur dun Réveillon exalté, pour le moins quon puisse dire. Je suis enfant unique. Je suis profondément athée. Je nai pas tout largent que je voudrais pour gâter au mieux les gens que jaime. Je suis végétarienne. Je nai pas de chalet ni de Wii, et je nai pas de mononcparty pour insister sur le mousseux. Non, mes Noël nont rien de tout ça. Mais ils ont leur charme du fait que ce sont les miens. Ils sont paisibles, méditatifs.
Cette année, jai pris une marche dans le froid jusquà ce que mes joues craquent, inventé des emballages-bricolage, été cueillir des baisers à la sauvette, mangé de la tourtière au millet, pesté contre la messe à la basilique Notre-Dame pendant les 45 premières minutes, et eu le fou rire pendant les 45 suivantes parce que jai malencontreusement échappé un « Hostie que cest lourd » un peu trop fort durant lhomélie. Jai bu du rouge, puis du blanc. Jai écouté La course aux jouets, un film suédois, puis un Woody Allen, et un autre
Jai fait des siestes, jai dessiné, jai réfléchi. Jai fait toutes ces choses que je ne me permets pas de faire, même le weekend.
Jai également eu une pensée pour les malades et les esseulés. Pour ceux qui ont faim, froid, mal ou les trois; ceux qui ont de véritables raisons de bouder Noël. Puis je me suis dit quil serait bien effronté de ne pas avoir assez de bonne foi pour apprécier mon Noël pour ce quil est, et non en fonction du modèle idéal quil faille adopter pour en faire une réussite. En remisant les anticipations aliénées, jenterre les angoisses. Parce quau final, je suis bien, sous la couette, avec mon Noël de rien du tout.
Sur ce, le court-métrage d’animation qui me fait invariablement pleurer: