C’est le Festival Mode et Design, les enfants! Vous savez, le festival montréalais de l’été que je serais (un peu) susceptible d’oublier mais pas cette année. Eh non, depuis que je suis fashion-sensibilisée (ha ha! Là-dessus, je viens de m’auto faire rire), je pose un regard beaucoup plus respectueux sur tout ça. Alors cette semaine, jai décidé de m’attarder un peu à la quantité faramineuse de temps et de travail qui se trouve derrière la présentation de chaque collection de designer. Jai bien sûr poussé l’étude jusqu’à l’exemple extrême du travail acharné : celui des ateliers de haute couture, histoire de tomber un peu des nues.
Alors que hier, sur la scène de l’Esplanade au Festival Mode et Design, défilaient les premières mannequins habillées par Ton Petit Look, la maison Christian Dior à une autre échelle, certes! présentait, le 4 mars dernier, l’ultime collection pensée par John Galliano, son directeur artistique depuis novembre 1999. On se rappelle en effet que le créateur, dandy provocateur et enfant terrible de la haute couture française, a été licencié et banni du prestigieux label après avoir été arrêté pour avoir proféré des propos antisémites et raciaux dans un bar parisien (Brasserie La Perle, ci-dessous), le 25 février 2011.
Le jour même de l’éclatement du scandale, le PDG de Christian Dior, Sidney Toledano, a vite eu fait de suspendre Galliano, cherchant désespérément à éviter toute éclaboussure. Or, à une semaine de la présentation de la collection Automne/Hiver 2011, les ateliers Dior, fonctionnant déjà à plein régime, se retrouvaient sans chef dorchestre. Mais la machine devait à tout prix maintenir le rythme, dans les locaux fastueux du 30, Avenue Montaigne, à Paris.
La lourde et fastidieuse tâche de mener à bien la sortie de la collection en chantier incombait alors aux fées silencieuses et invisibles de la maison, travaillant sans compter les heures avec une délicatesse et une précision mystiques : celles qu’on oublie trop souvent et qu’on appelle « les petites mains ». Petit survol du travail de ces travailleuses de l’ombre…
Chez Christian Dior, le travail est reparti entre deux ateliers principaux : celui du « flou » pour les robes vaporeuses et le travail sur tissus délicats, et celui du « tailleur », pour les matériaux plus solides et les coupes précises. Chaque atelier comporte une couturière en charge (« première datelier »), chacune assistée par deux secondes pour dicter les commandes au millimètre près aux autres ouvrières. En France, la plupart des ateliers de haute couture fonctionnent selon cet organigramme. Tout est fait localement, des coupes aux broderies fines. La signature parisienne agrémente chaque parcelle détoffe, motive chaque couture; et ce grâce au travail acharné des couturières employées. Mais attention: on n’emploie pas n’importe qu’elle ménagère un tantinet habile de l’aiguille! N’entre pas qui veut dans le club très sélect des petites mains parisiennes. Alors qu’en 1990, on comptait un peu plus de 900 petites mains authentiques en France, la Fédération française de couture estime qu’à ce jour, on ne compte plus que 200 « premières mains qualifiées » dans tout le pays. Et pour les aspirantes couturières de prestige, la route n’est pas sans embûches. D’abord, la formation est longue et ardue, et le salaire se mesure d’avantage en renom qu’en euros et encore : les ateliers de haute couture – les vrais – ne pullulent pas, même dans la capitale de la mode-prestige. Seuls 11 ateliers dans tout l’Hexagone peuvent se targuer de produire des vêtements certifiés « haute couture ». En effet, la liste très restreinte des designers qui peuvent revendiquer l’étiquette « haute couture », selon les critères du ministère de l’industrie, ne dépasse guerre la dizaine d’happy few. On les liste comme suit: Adeline André, Anne-Valérie Hash, Chanel, Christian Dior, Christophe Josse, Franck Sorbier, Givenchy, Gustavo Lins, Jean Paul Gaultier, Maurizio Galante et Stéphane Rolland; point à la ligne. Conséquemment, les femmes et les quelques hommes qui oeuvrent au sein de ces grandes maisons ont été savamment recrutés par des vétérans des podiums au flair sensible aux jeunes talents.
Ainsi, ce n’est pas pour rien qu’au terme du défilé Dior A/H 2011, les petites mains ont été ovationnées pour la première fois sur une scène de défilé par le public enthousiasmé. Un moment historique qui lève le voile sur le travail littéralement monacal accompli par les artisans dans les plus grands ateliers textiles au monde.
J’ai regardé en différé, sur le web, les moments forts du défilé, y compris le discours d’ouverture prononcé par Toledano lui-même (qui se fait d’habitude fort, fort, fort discret) et devant tout ça, honnêtement, je ne peux pas m’empêcher d’admettre qu’il y a derrière toute collection de haute couture un savoir-faire dont la virtuosité n’égale que la distinction. Le mot d’ordre: chapeau, et je ne peux pas m’empêcher non-plus de poser un regard différent sur ce que j’ai vu présenté sur les podiums, un FMDM. Voilà, c’est dit.