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Pourquoi avoir des rêves est dangereux pour les femmes
Crédit: Liana Mikah/Unsplash

Call me cheesy, mais j’ai toujours eu une fascination intense pour Ève, la figure biblique. Je me rappelle avoir étudié la genèse dans mes cours de religion étant enfant, d’avoir toujours senti une sorte de connexion avec cette figure, parce que je n’aurais pas fait les choses différemment. Rappelons-nous que le fameux péché dont Ève s'est rendue coupable, c’est d’avoir consommé le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu avait permis à Adam et Ève de manger tous les fruits du jardin, excepté ceux de cet arbre. Mais Ève, désireuse de sagesse, a décidé de manger le fruit, et d’en offrir à Adam. Pour punir Ève, il est écrit dans la Genèse que Dieu condamna toutes les femmes à souffrir lors de l’accouchement, entre autres choses. Certaines punitions s’appliquent à l’ensemble de l’humanité (ce qu’on appelle, dans la bible, la Chute), mais les femmes seront punies plus sévèrement pour la « faute » commise par Ève.

Ce récit me parle beaucoup, en tant que femme et philosophe, car j’ai cette même curiosité qu’elle, ce même désir d’acquérir de la sagesse, des connaissances, parfois au prix de lourdes conséquences. Et comme dans le mythe de la Chute, j’ai l’impression que les femmes paient un prix plus fort lorsqu’elles décident de suivre cette route.

J’ai l’impression que, socialement, on attache beaucoup de valeur à la réalisation des rêves. Tout autour de nous nous dit de suivre nos rêves, mais il est rare qu’on parle du prix. Réaliser ses rêves est extrêmement difficile, comme je suis en train de le réaliser. Il y a non seulement des sacrifices qui sont impliqués par tout projet d’envergure, notamment des sacrifices financiers ou une perte de stabilité due à la prise de risques, mais il y a aussi les choses qui arrivent lorsque les buts sont atteints. Et c’est là que je vois la plus grande différence genrée.

J’en ai déjà parlé, les femmes de tête, ça intimide, ça fait peur. J’ai l’impression que nos relations, du moins hétérosexuelles, sont l’une des grandes barrières invisibles qui nous freinent dans nos élans. Je me suis récemment fait laisser par l’homme avec qui j’ai partagé plus de quatre ans de ma vie, depuis le début de mon parcours en philosophie. Dès le premier jour, il a su quelles étaient mes ambitions. De grandes ambitions abstraites, c’est beau. On aime les femmes rêveuses, elles sont exotiques, distrayantes, pleines de passion. Mais lorsque vient le temps de mettre la main à la pâte pour concrétiser ces rêves, les choses sont différentes. J’ai vu la relation se détériorer au même rythme où les succès s’accumulaient sous forme de lignes sur mon CV. Il y a eu toutes sortes de petites choses, mais mon succès était une trame constante qui sous-tendait chaque petit accroc.

Et après la rupture, j’ai reçu plein de témoignages de femmes, certaines plus près de moi, certaines plus éloignées, mais toujours avec le même thème. Des hommes qui ne peuvent pas deal avec le succès plus grand de leur partenaire, qui l’expriment de diverses manières, des plus subtiles aux plus évidentes. Et quand je parle de la possibilité d’aller étudier ou travailler à l’étranger, presque systématiquement, le premier souci évoqué par les femmes est leur relation, la peur de menacer celle-ci.

Au final, j’ai décidé de poursuivre le même rêve que j’avais dès le début : viser une carrière académique, ce qui implique de déménager afin de faire un doctorat prestigieux. Une partie de moi savait dès le début de ma relation que je devrais faire l’ultime sacrifice. Ce moment est arrivé. Mais la destruction renferme toujours le germe d’une révolution possible. J’ai été acceptée au doctorat à Cambridge et à Toronto. Mes deux premiers choix. Je n’ai plus le poids d’une relation que je sens mourir à chaque seconde sur les épaules, et je respire déjà mieux.

Et comme le dit Lana del Rey dans sa (très belle) chanson Pawn Shop Blues, '' it's nice to love and be loved, but I'd rather know what God knows ''. J’ai décidé que j’aimais mieux manger le fruit qui m’était défendu et m’exposer au risque, plutôt que de suivre les conventions et m’assurer d’un bonheur simple et confortable.

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