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Ligature des trompes : Mon corps, mon choix, même si je suis jeune
Crédit: Brendan Church/Unsplash

Allo, moi c’est Roxane, j’ai 25 ans, et je suis childfree, ce qui veut dire que je ne veux pas d’enfants. Et quand je dis que je ne veux pas d’enfants, ce n’est pas à prendre comme « J’ai une absence de désir quant au fait d’avoir des enfants » ; il faut plutôt lire cela comme « J’ai un profond désir de ne PAS avoir d’enfants ».

Je n’ai pas choisi de naître avec un utérus, et je vis vraiment le fait d’être fertile comme une source de détresse depuis mon plus jeune âge. Le fait de pouvoir tomber enceinte, d’avoir cette possibilité, m’angoisse au plus haut point. Bien sûr, j’ai souvent eu des moments d’anxiété dus au fait que je croyais être enceinte, mais ma situation va plus loin que cela.

C’est difficile à décrire à des gens qui ne l’expérimentent pas, mais la simple idée d’avoir en moi la possibilité d’être enceinte, de manière abstraite, crée de la détresse, me fait sentir très mal avec mon corps. Parfois, je me sens un peu dans une prison de chair ; il ne se passe pas une semaine sans que je pense à ça, et c’est honnêtement très envahissant.

Pour cette raison (et bien d’autres encore), depuis que j’ai environ 20 ans, je cherche à me faire ligaturer les trompes. Pour moi, les moyens de contraception réversibles ne sont pas suffisants pour éradiquer mon mal-être, donc je cherche une solution permanente. La simple idée que ce soit « pour toujours » m’apporte un sentiment de paix et de soulagement indescriptible, et le fait de constamment retourner chez le médecin et me battre avec mes assurances pour des moyens réversibles m’apparaît comme absurde, considérant la nature de mes besoins.

Or, même en 2017, mon autonomie par rapport à mon corps peine à être respectée par les professionnel.le.s de la santé. Je crois fermement que toutes les personnes ayant un utérus devraient pouvoir décider si oui ou non elles souhaitent vivre une (ou plusieurs) grossesse.s. Tout comme le droit à l’avortement est maintenant reconnu au Canada, je pense qu’on devrait laisser les femmes majeures désirant être stérilisées la possibilité d’être opérées. Pourtant, chaque fois que j’aborde le sujet, j’entends les mêmes choses : « 25 ans…. c’est jeune », « Des fois quand on est en amour on change d’idée », « C’est triste quand même… », « Ton chum en pense quoi? », et j’en passe. Ces phrases m’ont toutes été dites à un moment ou à un autre, par les médecins, mais aussi par les secrétaires lorsque j’arrivais à mon rendez-vous. De tels jugements de valeur n’ont pas leur place dans un cabinet de médecine, à mon avis.

Depuis quand peut-on commenter sur les choix de vie des patient.e.s, surtout quand ceux-ci n’ont rien à voir avec leur santé? Et tout cela, c'est sans compter le fait que la visite à un bureau gynécologique peut être d'une grande violence en soi, notamment pour les personnes qui ont un utérus, mais ne sont pas des femmes. En effet, toute la documentation est formulée au féminin, parlant du corps des « femmes », avec de beaux petits dépliants roses, fleuris, qui assument toujours que le fait d'avoir un enfant est positif. Bref, le monde de la gynécologie a de graves problèmes d'inclusivité et il ne s'agit pas d'un milieu où tous.tes peuvent se sentir en sécurité. C'est pour le moins étrange d'attendre dans la salle d'attente pour jaser de stérilisation en étant entouré de femmes enceintes et de posters sur la grossesse avec des madames qui sourient comme si elles étaient dans une annonce de yogourt Activia. Et je n'ai aucun doute qu'une personne qui n'est pas une femme cis doit se sentir très peu à l'aise dans un tel environnement.

À chaque rendez-vous, c’est pareil. Les commentaires moralisateurs sont suivis des mêmes arguments douteux. Bien sûr, il y a le fameux argument du regret. Selon la gynécologue que j’ai vue lors de mon dernier rendez-vous, les taux de regrets suite à une ligature seraient plus élevés pour les femmes de moins de trente ans n’ayant jamais eu d’enfants. Cependant, selon les revues de littératures que j’ai trouvées (par exemple celle-ci, un peu vieille, mais pertinente ), même s’il est vrai que les femmes de moins de 30 ans ont un plus haut taux de regret, celles qui n’ont jamais eu d’enfants ont le plus faible taux de regret parmi celles-ci! Par ailleurs, m’informer de ces statistiques ferait partie de son rôle, qui consiste à me communiquer les risques afin que je puisse prendre une décision éclairée. Mais ce n’est pas à elle de décider quels risques prendre : c’est ma décision, peu importe. Et de la même manière, c’est à moi de décider si je suis prête à gérer la possibilité de regretter (et la réponse est : OUI). De toute façon, on peut tout regretter dans la vie : j’aurais pu regretter d’avoir lâché mon bacc en psychologie pour aller en philosophie, un domaine avec peu de possibilités d’emplois, mais j’ai décidé de le faire et de vivre avec le risque de regret. On peut aussi regretter de ne PAS s’être fait stériliser, en passant! Au final, la seule personne qui peut évaluer ses chances de regretter et décider si elle est prête à vivre avec ça, c’est la personne dont le corps est concerné. Par ailleurs, on ne ferait pas grand-chose dans la vie si on ne devait pas prendre de risques, dès qu’on a des chances de le regretter…

Un autre argument qui revient toujours, c’est le discours selon lequel il s’agit d’une opération, et que c’est bien risqué pour de la contraception. Cependant, la ligature des trompes est reconnue comme étant une chirurgie relativement sécuritaire : les risques sont surtout liés à l’anesthésie générale et aux infections possibles, comme toute opération. Cependant, toutes les méthodes de contraception ont leurs risques : certaines personnes réagissent mal aux hormones, ont des débalancements d’humeur importants, voire un risque accru d’ACV. La pose d’un stérilet demeure une procédure invasive, par laquelle on a un corps étranger inséré en soi, à froid, qui y restera plusieurs années, ce qui ne convient pas plus à tout le monde que la chirurgie. Et, finalement, il y a beaucoup de risques de santé associés à la grossesse et à l’accouchement, et j’espère ne jamais voir un.e médecin mettre de la pression pour qu’une femme avorte sous prétexte qu’il y a des risques à être enceinte, en général. C’est la même chose avec la ligature : la personne concernée doit être informée le plus possible sur les risques liés à chacune de ses alternatives, et décider par elle-même ce qui lui convient. Tant qu’il n’y a pas de contre-indication mettant sa santé sérieusement en péril, une personne devrait pouvoir choisir l’intervention qui lui convient le mieux parmi les choix qui s’offrent à elle.

Crédit : Giphy

Pour l’instant, comme je me retrouverai sans couverture d’assurances pour ma pilule contraceptive l’an prochain, j’ai décidé de profiter de mes derniers mois de couverture pour me faire poser un stérilet, afin de gagner cinq ans de plus pour faire mes démarches. Je n’abandonnerai pas, je sais ce que je veux, et je trouve aberrant qu’en 2017, au Québec, on n’ait pas encore le droit de décider du meilleur moyen de contraception selon nos besoins, nos valeurs, nos soucis et nos craintes.

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