Je ne peux plus compter le nombre de fois où j’ai eu peur en marchant vers chez moi, les clés dans les mains. J’ai toujours eu une porte-clé qui faisait en sorte que je pouvais transformer mes clés en quelque chose qui allait me protéger. Une fois, au métro Mont-Royal, j’ai dû les sortir en criant parce que je me faisais suivre en revenant de l’université (genre à 22 h).
Je ne sais plus combien de fois j’ai préféré ne pas être en contact avec telle ou telle personne parce que j’avais peur de ses mains baladeuses, de ses calls humiliants.
La plupart des agressions que j’ai vécues, des agressions de mononcle, elles venaient de mon père. Alors la peur, je la traîne et je la traînerai sûrement toute ma vie. Je me suis fait traiter de tous les noms les plus dégradants par la personne qui a fourni la moitié de mon ADN. Je l’ai entendu parler des femmes comme s'il s'agissait d'animaux. Je l’ai entendu dénigrer le physique de ma mère, parler des poitrines de ses amies pour la rendre jalouse.
Je me suis fait engager dans une crèmerie en me faisant convaincre que c’était plus hygiénique de porter des mini-jupes blanches. Et meilleur pour le tip. J’avais 16 ans.
Je me suis fait toucher les boxers par le trou de mon jeans et toucher le ventre par un prof en cinquième année du primaire.
Et encore, je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas encore été capable de poster #MeToo sur mon wall. J’en suis incapable. En fait, j’ai peur. Peur de voir qu’une personne se reconnaît. Peur des screenshots à envoyer à ceux qui m’ont fait du mal.
Puis, pendant que des centaines de personnes ont enfin le courage de parler, je vois que vous êtes nombreux, les messieurs, à avoir peur. Parce que vous le savez. Vous savez que vous n’avez pas été correct. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour le savoir parce que vous avez imposé votre loi du silence tout ce temps. Parce que vous aviez trouvé des moyens pour qu’on arrête de parler et vous savez que ça achève.
Je trouve que pour une fois, le retour du balancier est correct. J’aime vous voir avoir peur parce que c’est avec ça que je vis tous les jours. Quand je marche dans la rue, quand j’écris sur mon site, quand je suis sur Internet. Quand j’ai le malheur de dévoiler de la peau.
Alors, j’attends les prochaines enquêtes, les prochains noms, en espérant qu’ils seront remplacés par des femmes. Parce que c’est à notre tour d’avoir le pouvoir et de prendre notre place. On ne l’a jamais eue.