On m’a fait croire tellement souvent, depuis trop longtemps, que je ne savais pas du tout ce que je ressentais ou que c’était insignifiant. J’étais de trop et on avait mieux à faire. Je me sens parfois comme un fardeau pour les autres, un dérangement… Souvent, mes besoins ou mes émotions ont été décrits comme futiles, égoïstes et ont été ridiculisés. J’ai fini par incarner cette vision et porter la honte très près de moi et de façon permanente. C’est devenu ma réaction automatique à toute émotion qui pouvait surgir intérieurement.
Rapidement, j’ai su contenir, retenir et même supprimer l’expression de la moindre émotion. Si bien que j’en suis venue à ne même plus savoir comment me sentir et à remettre en doute chaque parcelle d’émotion qui parvenait à frayer son chemin. Ce que je ressentais était honteux, il fallait à tout prix faire taire toutes émotions… Lorsque je n’y parvenais pas, la honte m’amenait à les minimiser, les banaliser, à les traiter d'idiotes, et à ME traiter d'idiote…
Plus tard, la honte a réussi à devenir une fidèle accompagnatrice envahissante et presque insupportable. C’est environ là que j’ai commencé à me faire vomir après mes repas. Je me cachais, en paix, pour vivre très maladroitement les émotions que je ne comprenais pas et que je ne voulais pas comprendre. Je parvenais à geler, momentanément, ce que je ressentais. Mes émotions quittaient enfin le navire. Les quelques personnes qui ont remarqué mon comportement m’ont dit que c’était niaiseux et que j’étais aussi bien d’arrêter ça tout de suite. La honte a ressurgi de plus belle et j’ai seulement fait plus d’efforts pour que personne ne s’en rende compte à nouveau. À l’époque, je ne réalisais pas la gravité d’un tel geste, je voulais juste avec un répit et chasser un peu la honte.
Même aujourd’hui, je trouve encore très difficile d’accepter ce que je ressens, sans me remettre constamment en question et sans penser que je suis horrible parce que j’ai des émotions. Je me perçois encore plus horrible de les partager, car je me dis que les gens en ont rien à battre de ce que je peux vivre et que je ne devrais pas les embêter avec ça. Je m’efforce quand même de me confier à certain.e.s ami.e.s en qui je peux avoir confiance et qui ne me ridiculiseront pas. Ça me prend tout mon courage de leur demander de l’aide et d’assumer que j’en ai besoin.
Au moins, je suis en mesure maintenant d’identifier un peu mieux ce que je ressens. Ça aide… Avant je n’étais même pas en mesure de savoir que je ressentais quoi que ce soit. Il m’arrive encore d’avoir envie de retomber dans de vieilles habitudes malsaines et de vouloir enrayer ce que je vis à tout prix, mais je fais de gros efforts pour ne pas me laisser glisser vers ça.
Je sais mieux d’où me proviennent ces réflexes et quand j’ai tendance à les manifester. Mes émotions sont les miennes et sont légitimes, c’est ce que j’apprends, tranquillement, à mon rythme. Ça demeure un défi constant d’être attentive à ce que je ressens sans laisser la honte m’avaler totalement.