Le Chili est un pays relativement développé bien qu’il y existe beaucoup d’inégalités. En marchant dans les quartiers aisés de la capitale, Santiago, on peine à imaginer qu’en 2017, l’avortement y est toujours criminalisé tout comme l’était le divorce jusqu’en 2005. Pourtant, il était permis d’avoir recours à l’avortement thérapeutique en cas de risque pour la mère ou de grave malformation du fœtus jusqu’en 1989. C’est Pinochet qui l’a interdit, juste avant la fin de la dictature militaire. Depuis, l’État conserve le pouvoir de décider si une femme peut ou non mettre fin à sa grossesse. Bien peu d’avancées ont été faites depuis et principalement par la présidente sortante, Michelle Bachelet, première femme de l’histoire à la tête du pays. En cas d’avortement, on parle de peines d’emprisonnement de trois à cinq ans…
Actuellement, un projet de loi est à l’étude afin de dépénaliser l’intervention volontaire de grossesse (IVG) dans les cas de viols ou de risque pour la mère ou le fœtus. Mais malgré cela, il reste encore beaucoup de travail à faire et de nombreux obstacles telle l’Église catholique qui possède encore une emprise très forte sur les mœurs chiliennes et certains partis politiques de la droite. J’ai eu l’opportunité de discuter du sujet avec plusieurs femmes chiliennes de tous les âges depuis 2015 et je dois dire que c’est un sujet très sensible. Les arguments pro-vie que l’on m’a partagés se résument majoritairement à la volonté de Dieu, peu importe les circonstances. Je trouve ça très difficile, surtout venant de jeunes femmes d’à peu près mon âge.
Les derniers sondages estiment que 71 % de la population serait favorable au nouveau projet de loi tandis que seulement 15 % seraient pour la levée complète de la criminalisation de l’IVG. D’un autre côté, pas moins de 75 % des viols commis au Chili le seraient auprès des mineures1.
Les inégalités du pays se traduisent aussi dans le cas où une femme souhaiterait tout de même un avortement thérapeutique, malgré les lois qui l’interdisent. Les plus nanties n’ont qu’à se rendre dans un pays voisin où l’avortement est permis ou encore dans une clinique privée où l’intervention est pratiquée et maquillée, mais à grands frais (en moyenne 7 000 $ CAN). En gros, on fait passer l’avortement pour une ablation de l’appendice 2.
Pour celles qui n’ont pas cette « chance », il y a toujours l’avortement illégal, mais très risqué. Il existe même une ligne téléphonique qui donne des conseils à suivre pour faire soi-même à la maison usage du médicament, le misoprostol, qui provoque l’expulsion du fœtus. Chaque année plusieurs femmes meurent des suites d’un avortement de cette façon.
Les groupes féministes chiliens luttent présentement pour faire changer la situation auprès du gouvernement. Des pas ont été faits, mais le chemin est encore long puisque l’opposition a déjà annoncé son intention de bloquer le passage de la nouvelle loi. Les mœurs aussi sont difficiles à changer puisque l’emprise patriarcale du christianisme est toujours très présente.
J’ai entendu des femmes juger très sévèrement l’avortement, au point de préférer désormais éviter le sujet avec elles. La majorité de leurs arguments sont que l’utérus n’est pas un cimetière et que l’avortement risquerait de devenir un moyen de contraception. J’ai essayé de débattre un peu et de parler de la situation au Québec avec celles qui étaient plus ouvertes d’esprit, mais ça reste toujours un sujet très sensible.
Le but de mon article n’était pas de démontrer mon point de vue en faveur du droit à l’avortement en tant que tel, mais plutôt de dénoncer le fait que ce choix n’appartient pas toujours aux femmes qui portent des enfants et cela même dans des pays qui se disent développés. Selon moi, elles devraient avoir cette liberté de décider qui ici, au Chili, appartient toujours au système néolibéral discriminant les pauvres et au gouvernement qui contrôle encore l’utérus des femmes.
1. https://www.eldemocrata.cl/noticias/contundente-73-esta-en-contra-del-aborto-3-causales-segun-encuesta-del-senado/
2.http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/01/26/chili-un-projet-de-depenalisation-partielle-de-l-avortement-examine-au-senat_5069388_3222.html