Arrêtons de parler de la série « 13 reasons Why » et commençons à parler du manque de ressources
Carolane StratisVendredi dernier, comme le jeudi d'avant, j'étais dans une école secondaire pour parler des petits défis de la vie. Forte de mes deux livre – Guide pour une vie adulte (genre) épanouie et Les filles sont-elles folles? –, disons que j'en ai pas mal à dire sur les défis de passer de l'adolescence à l'âge adulte et je suis parfois invitée à le faire. J'étais là, à gesticuler comme je sais si bien le faire, puis, les yeux pleins d'eau, je me suis mise à parler de ma dépression et de ma tentative de suicide. J'ai croisé le regard d'une élève qui, en sortant, m'a remerciée d'en avoir parlé.
Dans ma valise, j'avais mis mes vieux journaux intimes de quand j'étais étudiante. J'y parlais de mes chicanes, de mes anciennes amies, du fait que j'avais pas de chum, qu'aucun gars ne m’aimait, que j'étouffais chez moi, que je ne trouvais ma place nulle part, que j'étais sûrement en dépression et que je voulais mourir. Si ce n’était pas pour faire un podcast la même semaine, je ne sais pas si je les aurais rouverts. Je n’avais pas lu ces cahiers depuis 2001 parce que je savais que je parlais de mon envie de mourir.
Je me suis souvenue que j'avais été à l'école demander clairement de l'aide, qu'on m'avait dit que si je n’avais pas de plan clair (pour mourir) je n’avais rien à faire dans le bureau de la psychologue et de revenir « quand ça serait grave ».
Avec le recul et après ma lecture, je me suis rendu compte que ce n’était pas vraiment parce que je tenais à la vie que je ne m’étais pas tuée, mais parce que je ne voulais pas faire souffrir les autres plus que moi. C'est encore ça qui me fait aller chercher de l'aide dès que j'ai des épisodes dépressifs.
Plus tard, en 2012, quand j'ai fait ma tentative de suicide, j'ai été dans un centre de prévention du suicide la journée suivante. C'est mon amie qui est venue me chercher chez moi quand je lui ai envoyé ma lettre d'adieu qui m'a amenée là-bas. L'intervenant m'a demandé pourquoi je voulais mourir. J'ai dit mes affaires, j'ai raconté ma vie et j'ai dit que j'en pouvais plus de souffrir. Il m'a demandé si je me trouvais inutile. J'ai dit « non ». Il m'a demandé pourquoi je voulais mourir, parce que ce qui m'était arrivé n'était pas si pire que ça. J'ai fermé ma yeule. Je l'ai trouvé bête et je suis partie chez ma petite sœur.
Cette journée-là, j'ai vu un médecin au privé que mes parents ont payé pour ajuster mes médicaments.
Le lendemain, j'ai vu ma psychologue, payée au privé. J'ai été porter mon papier à l'école pour mon arrêt maladie et j'ai dormi pendant genre une semaine.
J'ai vu ma psychologue, au privé, deux fois par semaine pendant 5 mois.
La première fois que j'ai eu accès à une psychiatre au public, j'avais Dolores dans le ventre et c'est ma médecin de suivi de grossesse qui avait insisté pour que je me fasse prendre en charge.
Pourtant, dans les écoles, je ne m'empêche jamais de dire d'aller chercher de l'aide. Je ne m'empêche pas de dire que des ressources sont disponibles, mais que si l'aide n'est pas suffisante, si le monde n’écoute pas, il faut appeler 1-866-APPELLE ou appeler n'importe quelle personne en mesure de vous écouter. Et d'insister si jamais la personne n’est pas réceptive. C'est pas mal les seuls moyens qui sont faciles d’accès en état de crise.
Quand je vois une gang d'adultes se chicaner et débattre sur les bienfaits et les méfaits d'une série comme 13 Reasons Why, j'ai de la misère à ne pas me dire que c'est une foule de personnes qui oublient comment c'est tof le secondaire et tout ce qui vient avec. Une banale rupture peut avoir des impressions de fin du monde et malheureusement, si les ressources ne sont pas accessibles, ça peut le devenir for real. À force de s'enfoncer la tête dans le sable, on vient à oublier que c'est fucking compliqué de se faire entendre. Partout.
Je suis fatiguée de voir que les gens se confortent dans leur impression que les ressources sont disponibles quand on se fait dire qu'on aura juste le droit à 10 séances avec une travailleuse sociale et qu’après on se fait mettre sur une liste d'attente qui dure 6 mois. L'aide n'est pas facile à obtenir. On est supposée faire quoi quand on est en détresse? Attendre!?
Je pense que le sujet des maladies mentales est à la mode à cause de la série sur Netflix. Outre certains commentaires vraiment légitimes sur les lacunes de la série, je pense que ça permet à plusieurs personnes de parler, ensemble, d'un sujet qui est encore beaucoup trop tabou.
Cependant, il va falloir s'arrêter deux minutes pour se dire que le manque de ressources fait encore plus de mal quotidiennement que cette série et ses « lacunes ».
Si on pouvait arrêter de demander à tout le monde ce qu'ils pensent d'une fiction en 13 épisodes et qu'on commençait à demander aux gens autour de nous comment ça va et les écouter si ça ne va pas, ce serait un grand pas. Pis, un peu d'investissement dans les ressources tant qu'on y est. Ça serait déjà ça.
Cette semaine, ça fera 5 ans que je parle de ma tentative de suicide et de ma dépression, 5 ans que j'attends qu'on parle du manque de ressources.
Si tout le monde martèle que c'est la maladie mentale qui a tué Hannah Backer dans 13 Reasons Why, et non pas ses 13 raisons. Je me dis qu'il y a donc des milliers (environ 1 200 personnes par année au Québec) de bonnes raisons d'investir en santé mentale.
1-866-APPELLE si ça ne va pas.