Mercredi, 15 h 00. Je suis avec Yannick, un ami précieux. Nous sommes au marché sur Mont-Royal, avec nos dizaines d’années d’amitié :
« Non, Emi! J’peux pas prendre des bagels en vrac! »
« Ah oui, c’est vrai… (soupirs et face palm) le risque d’infection… Sorryyyyy! »
Tout en continuant nos emplettes et en évitant les fromages non pasteurisés, il me raconte sa sortie avec une demoiselle qu’il connaît depuis quelque temps. Cette dernière avait un rendez-vous à l’hôpital juste avant leur sortie et il y avait beaucoup de retard dans l’horaire du médecin. En conséquence, elle est sortie du cabinet plus tard que prévu. Je réponds à Yannick quelque chose du genre : « Ouin, maudit, c’est plate ça, devoir attendre! », et lui de me répondre spontanément : « Bah, t’sais, c’est quoi attendre quand t'as la vie?! ».
Yannick (ainsi que la demoiselle) est atteint de fibrose kystique. Il y a quelques mois, personne ne se doutait que le 30 juin, il recevrait l’appel tant espéré. L’appel qui a changé sa vie en un claquement de doigts, l’appel qui a fait le malheur des uns, l'appel qui a fait le bonheur des autres. Un individu, qui s’est bien tristement éteint, a décidé de faire un don d’organes, un don de vie. Pour notre Yannick à nous, un ami, un confident, un fils, un frère, un père…
Lorsque ça ne nous touche pas directement, il peut être difficile d'avoir conscience de l’importance du don d’organes. C’est pourquoi j’ai décidé de vous raconter, de manière écourtée, l’histoire de Yannick avant, pendant et après le fameux appel.
Pour faire un long story short, depuis sa tendre enfance, Yannick a des traitements par inhalation pour liquéfier les sécrétions afin de mieux les dégager. Une fois liquéfiées, une quinte de toux lui permet d’expectorer celles-ci. Enfant, il devait avoir des séances de clapping afin de l'aider à décoller ces sécrétions. Aussi, des médicaments à prendre en quantité significative, et ce, quotidiennement. Voici l’ampleur de la chose :
Antibiotiques, enzymes, vitamines, inhalateurs, insulines… name it!
C’est une routine rigide et stricte qui le suit depuis la naissance. Je me souviens qu’au début de notre vie « d’adulte » (LOL), ça nous est arrivé bon nombre de fois de se réveiller encore drunk, trois-quatre épaves couchées un peu partout dans la chambre de Yannick, un filet de bave qui coule sur nos oreillers. Pendant que nous nous disons « FUCK LES MATINS » les yeux cross-side, en pyjama, avec Jackass en background, la fibrose kystique, elle, ne prend pas congé. Yannick se lève et fait ses traitements à côté de nous.
31 ans de traitement, matin et soir, ça en fait 22 630. Just sayin'.
Yannick a toujours été un gars plutôt actif; il jouait au hockey et au baseball. Mais malgré l’effort et la persévérance, la maladie grandit, les poumons s’encrassent, c’est inévitable. En novembre 2014, il se retrouve en arrêt de travail nommé « invalidité de longue durée ». Le mois suivant, il a besoin de sa bombonne d’oxygène la nuit et lors d’un effort physique. Quatre mois plus tard, il en a besoin pour la marche normale, puis éventuellement pour les simples déplacements dans la maison. Au printemps 2015, son poumon droit fonctionne à 20 %.
Yannick est souvent hospitalisé, la plupart du temps par prévention. Mais à l’automne 2015, il appelle le 911… Chaque inspiration qu'il prend est semblable à une sensation de coup de couteau. Il apprend qu’il y a eu affaissement du poumon et inflammation de la plèvre…
En mars passé, il y retourne par prévention. Entretemps, il a contracté un virus (fièvre, toux, fatigue). S'ajoutant au virus, sa saturation diminue. Il est extrêmement essoufflé d'aller se laver dans le bain. Ses battements cardiaques sont dans le tapis. Il n’a jamais rien vécu de tel. Il reste finalement à l’hôpital deux à trois semaines de plus que le temps prévu. Les enfants s’ennuient de papa, papa s’ennuie des enfants. En très bas âge, ils comprennent du mieux qu’ils peuvent, mais le temps est long… « Papa, lui, il vomit quand il tousse! »
Durant cette hospitalisation, son médecin lui parle de la liste d'urgence de greffe, car ses organes sont en piètre état. C'est un gros choix que Yannick a à faire, mais il est à une, deux, peut-être trois infections de rentrer aux soins intensifs et ne plus jamais en sortir…
Heureusement, un mois plus tard, il se sent mieux. Il a son congé d’hôpital, enfin! Et avant même qu’il n'ait le temps de s’y préparer (comment être préparé à ça?), le téléphone sonne…