Grâce à mon anxiété, je suis pas mal terrifiée par tout ce qui m’est inconnu. Pour vous donner une idée, j’ai une peur morbide d’entrer dans un café que je ne connais pas. Comment ça fonctionne? Où dois-je commander? Dois-je d’abord m’assoir? Dois-je attendre ma commande au comptoir? #SoMuchQuestionnements
Cependant, malgré cette crainte maladive de l’inconnu, je réussis à voyager seule, sans appréhension. C’est fou d’imaginer qu'une fille qui angoisse à visiter le café du coin soit tout à fait à l’aise de visiter un autre pays seule. C’est pourtant mon cas.
Crédit : Elisabeth Gagnon/Instagram
Je me souviens encore, comme si c’était hier, de mon enregistrement lors de mon premier voyage. Je me rendais à Londres, mais j’atterrissais à Paris. Mes parents venaient de me laisser à l’aéroport, et je me retrouvais seule devant le comptoir des enregistrements d'Air Transat. La préposée m’a saluée et, soudainement, j’ai eu l’impression que le temps s’était arrêté.
J’avais deux choix : soit je fondais en larmes devant la pauvre préposée impuissante, soit je me prenais en main et je fonçais. J’ai choisi la deuxième option. En partie parce que ça aurait été vraiment gênant de pleurer à chaudes larmes en public, mais surtout parce qu’une petite voix, que j’entends trop rarement, me disait que tout allait bien aller. J’ai donc enregistré mes bagages sans verser une seule larme.
Crédit : Giphy
Tout le long du vol, j’avais le coeur qui battait à tout rompre, j’avais le souffle court et je ne cessais de me demander ce que je faisais donc là. À l’annonce de l’atterrissage imminent, j’ai nerveusement enfilé mon sac-ceinture, que j’ai dissimulé sous mon chandail, et je me souviens encore des regards railleurs des autres passagers.
C’est seulement lorsque j’ai mis les pieds à l’extérieur, à Paris, et que j’ai regardé autour de moi que j’ai senti toute mon agitation s'estomper. Je l’avais fait : j’étais bel et bien seule sur un autre continent, face à l’inconnu. Pour bien des gens, ce type de réalisation est très banale mais, pour moi, la « terrorisée du café », tout cet inconnu était plus grand que nature. Après tout, je m’étais rendue là seule, sans crise d'angoisse, en seul morceau. C’était une épreuve sans nom que j’avais réussi à surmonter et qui m’a donné le cran dont j’avais besoin pour poursuivre le voyage.
Le quartier Montmartre à Paris lors de mon premier voyage en septembre 2013
Crédit : Elisabeth Gagnon
Après cette grande réalisation qu’était d’être seule à Paris, j’ai pris une grande respiration, j’ai souri (qu’est-ce qui ne pourrait pas faire sourire dans une situation si merveilleuse?) et j’ai poursuivi mon chemin avec ce sourire sur mes lèvres et dans ma tête. Une fois rendue à Londres, je me suis surprise à demander des directions à de purs étrangers sans avoir le cœur qui palpitait, prendre mon temps pour regarder les indications sans paniquer (ce qui est plutôt exceptionnel) et apprécier mes égarements.
Tout à coup, je me permettais de prendre un bus sans savoir où il m’emmenait, j’allais prendre un verre seule, assise dans un bar, et je savourais chaque minute de mes activités anodines : prendre le métro, aller au marché, traverser la rue. Je m’émerveillais de tout, comme si je vivais ces situations pour la première fois. Ma débrouillardise grandissante et mon inhabituel détachement me renversaient et m’enchantaient. Qui étais-je donc devenue? Pourquoi agissais-je ainsi?
J’ai découvert qu’en voyage, mon quotidien s’arrête. Il se met sur pause comme si je changeais de vie l’instant d’un séjour. C’est un peu comme si je devenais une autre personne; pas de tracas futile à propos du travail ou de la famille, pas d’attentes de la part de personne et aucune restriction. Au quotidien, je m’impose énormément de règles à suivre et je me montre excessivement sévère envers moi-même. Tout ce que je fais est une source d'angoisse.
En voyage, toutes ces contraintes que je m’inflige tombent. Comme je n’ai plus de repères et qu'absolument tout autour de moi est nouveau, je n’ai plus le contrôle sur rien et je suis donc incapable de m’infliger une once de mon anxiété usuelle. Je lâche prise, simplement. Étant seule, je me donne le droit de vivre sans barrières, sans attentes. Je me redécouvre un peu chaque fois que je pars. Rien ne me fait sentir aussi bien et aussi libre que voyager seule.