Je suis une selfie-queen autoproclamée.
Je suis celle qui fait rouler les yeux des quinquagénaires. Une millenial assumée, un livre ouvert dans un téléphone intelligent. Je suis toutes ces choses que les vieux (et certains jeunes aussi) détestent de ma génération.
J'aime me faire des portraits. Prendre une cinquantaine de photos afin de trouver l'élue, la photo ultime, telle un spermatozoïde chanceux qui donnera naissance à un post instagram légendaire. Je sature mes couleurs, je tire les hautes lumières, je creuse les ombres. Je travaille mon visage comme une fresque instantanée.
Mon amour-propre a dû prendre racines dans la bouette. J'ai commencé très tôt à jouer de mon image, avant même que la notion de selfies ne soit verbalisée. J'étudiais mon corps photographié de manière plus cartésienne, plus détachée que je ne le faisais dans le miroir, où j'observais mon reflet, impuissante, et molle, et frustrée. J'aimais découvrir une étincelle dans mes yeux ou une tension dans mon cou qui me donnait l'air absolument féroce. Je prends mes photos comme je les prenais à l'époque : sans regarder le viseur, entièrement concentrée sur l'énergie de mes portraits, presque hors de moi-même.
Je vois mes égoportraits comme une extension de mon expression corporelle. J'agence mon maquillage à mes vêtements selon le feeling, comme un power-suit. Alors, je documente mon visage de la même manière. J'en fais un outil théâtral où je joue de mes alter-egos, où je porte des masques qui me dévoilent.
Un peu, beaucoup, passionnément.
Beaucoup de gens semblent dire que l'obsession de se photographier en tout temps nous empêche de vivre « la vraie vie ». Ça me fait rire, parce que la majorité des moments où je me sens assez à l'aise de me photographier sont ceux où je suis complètement seule, dans mon cocon introspectif. Je n'ai jamais manqué une occasion de me sociabiliser parce que je devais me prendre en photo. Mais je suis définitivement passée à côté de selfies historiques parce que je n'avais pas le temps de m'appliquer à prendre une photo. Pas de panique, tout va encore très bien.
Je trouve d'ailleurs l'acharnement contre les femmes qui se selfisent tout à fait hypocrite. Quand les photos intimes d'une célébrité font surface, on les trouve irresponsables, faciles, honteuses. On s'insurge contre des femmes qui ont osé se trouver belles. Et pourtant on martèle qu'il faut avoir confiance en soi, on déplore le fait que les femmes se trouvent laides sans maquillage, au point d'en faire un trait typiquement féminin, de faire d'elles des êtres fragiles, susceptibles, faciles à casser. À croire que la seule femme qu'on ne veut pas voir, c'est celle qui est assez vaniteuse pour partager le fait qu'elle s'aime en dépit des insécurités qu'on essaie de lui attribuer.
Soyez assurés que j'applaudis chacun-e de mes ami-e-s quand je vois apparaître un selfie absolument gratuit sur mon newsfeed. Gratuit dans le sens où le seul prétexte qui a motivé ces photos, c'est que la personne qui les a prises se sentait assez fabulous pour prendre 15 minutes de son temps afin d'immortaliser un moment de pure symbiose avec elle-même. Dire fuck you aux standards, aux insécurités renforcées par les médias, aux définitions hermétiques de la beauté. Parce que de reprendre le contrôle de son image et de son individualité, ça n'a vraiment rien de superficiel.