Dimanche le 12 juin à 2 h du matin, j’étais en train de célébrer la fête d’un ami dans un bar du Village gai à Montréal.
Pendant qu’un tueur homophobe tirait sur des membres de ma communauté dans un des plus grands clubs gais à Orlando en Floride, j’étais en train d’avoir du plaisir avec des amis dans un endroit similaire.
La semaine dernière, sur CNN, j’ai écouté un épisode de l’excellente série The Eighties, qui comme les saisons précédentes The Sixties et The Seventies, parle des événements importants qui ont eu un impact sur ces dernières décennies. L’épisode de la semaine passée portait sur la crise du Sida des années 80. Même si j’en savais déjà beaucoup sur le sujet et la période, j’ai été super touché, ému et j’en suis sorti avec un immense sentiment de fierté envers tous les membres de ma communauté qui se sont battus contre les politiciens, contre les médecins et contre l’homophobie pour que quelque chose se passe, pour que les gens réagissent.
Vendredi, pour célébrer son anniversaire, j’ai passé la soirée à écouter l’album classique Judy at Carnegie Hall, un album live, enregistré en 1961 où tout le talent d’une de mes idoles, Judy Garland, est présentée en toute fragilité. Ça m’a rappelé le fait que la réaction de la communauté LGBTQ face à la mort de cette icône gaie le 22 juin 1969 a été un des éléments qui a généré l’émeute violente de Stonewall. C’était un moment marquant dans la lutte des droits et libertés LGBT.
Vous comprendrez donc que j’étais dans un état émotionnel assez particulier face à l’histoire et la culture gaie quand j’ai appris la nouvelle d’Orlando dimanche matin.
Ça m’a frappé comme une tonne de briques.
Toute la journée du dimanche, j’étais comme un zombie. Je me suis forcé à sortir de la maison, à voir du monde, à marcher, à prendre de l’air, mais tout ce que j’avais envie de faire c’était de rester au lit et regarder dans le vide.
C’était lourd. J’aurais voulu écrire, mais il y avait trop de choses qui se passaient dans ma tête, trop de pensées, trop de frustration, trop de rage, trop de tristesse, trop d’émotions. J’étais incapable.
J’ai essayé d’avoir l’air fort et positif sur Facebook en écrivant quelques statuts sur le sujet, mais c’était une illusion. J’étais loin d’être aussi proactif et positif en réalité.
Je n’avais pas encore pleuré de la journée jusqu’à ce que je lise que les policiers qui menaient l’enquête à l’intérieur du club devaient essayer d’ignorer les sons des dizaines de téléphones cellulaires qui sonnaient. Des appels des proches des victimes qui cherchaient à savoir s’ils étaient en sécurité, des appels qui seront à jamais sans réponse.
Ç’a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Une tragédie comme celle-là, ça ne s’explique pas. Je n’ai pas le goût d’essayer de trouver une raison pour laquelle le tueur (que je refuse d’appeler par son nom) a fait ce qu’il a fait. Je me fous de son background, de sa religion, de son orientation sexuelle, de sa vie. Je n’ai pas le goût de lui accorder une fucking seconde de ma vie en parlant de lui ou en pensant à lui.
J’ai le goût de rendre hommage aux victimes, de parler d’eux, d’en apprendre sur eux, de voir des photos d’eux, de dire leurs noms à voix haute, de me souvenir d’eux.
Ça me fait chier que les médias se concentrent trop sur les tueurs et pas assez sur les victimes.
Ça me fait chier parce que, maintenant qu'on a le droit de se marier, les gens pensent que tout est réglé.
Ça me fait chier que l’homosexualité soit encore illégale dans 77 pays. Ça me fait chier de ressentir encore de la tension quand mon mari me prend la main dans la rue.
Ça me fait chier que mes parents ne m’aient pas contacté dimanche pour savoir si j’allais bien.
Ça me fait chier qu’en sortant de la chapelle à mon mariage à Las Vegas, j’ai scanné les alentours avant d’embrasser mon mari.
Ça me fait chier que les homosexuels d’Orlando qui voulaient donner leur sang pour aider les victimes n’ont pas pu le faire.
Ça me fait chier de parfois, devoir parler de mon mari en tant que mon coloc et non mon conjoint.
Ça me fait chier que dans une semaine, les médias vont passer à autre chose.
Le manque de cadre concernant l’achat d’armes à feu aux États-Unis me fait chier. Les tweets de marde de Donald Trump me font chier. Les politiciens qui offrent leurs condoléances sans mentionner le fait que c’était un acte homophobe me font chier.
Mon hypersensibilité face aux regards non approbateurs des gens me fait chier. Le fait que des gens me détestent et aimeraient me voir mourir uniquement à cause de mon orientation sexuelle me fait chier.
Les gens qui posent la question « pourquoi n’y a-t-il pas de fierté straight? » me font chier.
Et des fois, je me déçois moi-même! J’ai honte de ne pas réagir quand j’entends des commentaires homophobes dans la rue. J’ai honte d’avoir été inconfortable en public avec un ami efféminé à cause des regards qu’on recevait. J’ai honte d’avoir arrêté de parler à cet ami. J’ai honte d’avoir laissé ma mère faire mon coming out à ma place. J’ai honte d’avoir outé un ex-collègue de travail.
J’ai honte d’avoir ressenti plus d’empathie et de tristesse face à cette tuerie qu’aux précédentes.
Malgré tout, je suis très heureux et fier que la nouvelle génération de baby gais se sente super à l’aise et acceptée, mais ça me rend triste que la majorité ne s’intéresse pas à l’histoire de notre communauté et à cette lutte qui continue.
Ça me rend triste de voir Adele éclater en sanglots en dédiant son spectacle de dimanche soir aux victimes d’Orlando.
Ça me rend triste de savoir que des membres de ma communauté auront peur de sortir dans les bars cet été. C’est peut-être ça qui va me hanter le plus longtemps vis-à-vis de cette affaire : la peur.
Mais j'ai décidé de refuser d’avoir peur. J’ai eu peur dans le passé, j’ai pris des décisions qui ont fait en sorte de ne pas être confronté à certaines choses. J’ai été lâche. C’est fini.
La tuerie de dimanche passé avait comme but de faire peur à ma communauté, de nous faire douter, de nous faire regarder derrière nous constamment, de nous rendre paranoïaques, mais je refuse.
Je refuse de continuer à vivre comme je vivais avant le 12 juin 2016.
Les années où je préférais me fondre dans la foule au lieu de m’accepter à 100 % sont terminées. De la peur, j’en veux plus, j’ai l’impression de m’être déjà empêché de faire beaucoup trop de choses à cause de la peur et ce n’est pas vrai que cette tuerie va me forcer à me priver encore plus.
Trop de membres de ma communauté sont morts à travers les décennies pour que je puisse être ici et vivre ma vie dans un semblant de normalité pour que je n’en profite pas.
Il est grand temps d’afficher mes vraies couleurs.