2003 : L’année durant laquelle je n’avais définitivement pas l’air d’Avril Lavigne avec une cravate pis une âme de rebelle
Maude BergeronJ’sais pas si vous étiez du genre un peu coincées pis ben gênées quand vous aviez 12 ans, mais moi j’étais pas mal la fille qui ne parlait pas, qui ne riait pas, qui ne bougeait pas et qui n’existait pas. Ça me convenait plus ou moins, mais je préférais clairement être personne plutôt qu'avoir full d’attention négative (aka me faire écœurer tout le temps).
J’étais dans la clique des bollés, pas parce que j’avais des notes vraiment fortes, mais juste parce qu’on prenait pour acquis que ma transparence équivalait à de l’intelligence. Bon, j’avoue que j’avais de bons résultats scolaires, mais je trouvais quand même que je n’étais pas tant nerd que ça pis j’étais un peu cool aussi. #PasTantQueÇa
J’sais pas trop pourquoi, mais un jour, j’ai choisi d’être une p’tite bum le temps d’un cours matinal pis de faire de l’attitude au prof (et à tout l’monde) comme une vraie rebelle. J’me trouvais vraiment hot et tellement mature – c’était très agréable de changer mon statut fantomatique pour quelques heures. Le prof capotait légèrement, comme s’il venait tout juste de remarquer ma présence dans sa classe, mais certains élèves semblaient me considérer un-peu-plus-correct dans l’échelle de la coolitude des enfants de douze ans. Échelle comprenant les statuts « bollé », « hot » et « rebelle », un peu comme si nous étions tous des Supers Nanas, version secondaire un.
J’me croyais sincèrement partie pour la gloire et j’me sentais l’âme d’une musicienne cette journée-là. J’ai donc agrippé mon crayon de plomb pis mon marqueur rose fluo full beau et j’ai commencé à les frapper sur mes cahiers pour créer un rythme endiablé, digne d’une toune rock des années 70 (ok, ça sonnait pas pantoute comme ça, mais dans ma tête j'étais au même niveau qu'une « drummeuse » professionnelle).
J’aurais aussi aimé vous faire croire que je portais un coat de cuir trash, des jeans troués, des lunettes de soleil branchées PIS UNE CRAVATE, mais j’avais plutôt un p’tit jumper gris, une chemise blanche boutonnée jusqu’au cou pis des collants qui me descendaient en bas des fesses tout le temps. Malgré le fait que je viens de briser mon image, j’vous garantis que dans mon cœur, j’étais autant connue pis badass qu’Avril Lavigne à l’époque.
Étonnamment, tout le monde a tranquillement embarqué dans le beat et en moins d’une minute, on était 25 à taper sur nos bureaux comme des vrais musiciens talentueux. Je voyais dans le regard du prof, de l’exaspération certaine, mais aussi un peu de dégoût teinté d’un « je-m'en-foutisme » déconcertant. Il était clairement blasé et découragé, pire encore, il ne nous trouvait pas cool pantoute, avec notre rébellion musicale. Il a finalement décidé de quitter la classe paisiblement, l’air de se dire : « J’men vais chez nous boire une bière pis me reposer, bande de caves ».
Chacun d’entre nous a poussé un cri de joie tellement puissant qu’on devait se demander de l’autre bord d’la ville quelle était la si bonne raison de célébrer.
« GANG ON A FAIT PARTIR LE PROF AYOYE! ON EST FULL HOT C’EST NOUS LES PLUS PUISSANTS DU MONDE! »
« ON FOUT LA MARDE DANS L’ÉCOLE FUCK TOUTE! ANARCHIIIIIIIIIIIIIIIE!!!!!!! »
C’est à ce moment que Monsieur Le Directeur arriva avec un air un peu trop sérieux, nous faisant légèrement peur et nous rappelant presque agressivement que nous n’étions rien que des p’tits jeunes vraiment innocents. Pis, c’était juste son air qui nous faisait sentir comme ça, imaginez le reste.
J’ai pleuré pendant une heure sur l’heure du midi parce que c’était la première fois de ma vie qu’on me chicanait à l’école. Je n’étais plus cool, t’sais. Je n’étais vraiment plus comme Avril dans son vidéoclip de skate avec sa belle cravate. Je faisais face aux lourdes conséquences de mon geste, c’est-à-dire d’aller en retenue. Moi qui croyait que seuls les délinquants-futurs-prisonniers-de-la-société se ramassaient là, je peux vous dire que ma balloune était encore plus que pétée, elle était brûlée pis enterrée six pieds sous terre.
En sortant des toilettes, la morve au nez, les yeux rouges pétants pis la face toute gonflée, j’me suis rendu compte que la rébellion, c’était peut-être pas encore pour moi. J’me suis rendu compte que je n’avais pas tellement le cœur d’une skateuse arrogante, mais plutôt celui d’une ouate douce et délicate. J’me suis aperçue que j’aimais ça être tranquille même si j’aspirais secrètement à être perçue autrement.
J’me suis alors fait la plus grande promesse de tous les temps : celle de ne plus jamais commettre d’acte interdit et arrogant de ma vie. Une belle promesse que j’ai tenue très efficacement jusqu’à mes 12 ans et demi.