Et c’est horrible.
On va fast-forwarder jusqu’au moment qui nous intéresse : je suis enceinte, je ne veux pas être maman. Je suis bien à l’aise avec ma décision, mais ça reste un choix lourd à faire. L'avortement me faisait vraiment peur et j’étais hyper stressée en arrivant à une clinique spécialisée plus tôt aujourd'hui, deux semaines après avoir pris mon rendez-vous.
Au téléphone, on avait été super gentil avec moi. Plusieurs amies m’avaient recommandé l’endroit : hyper reconnu, staff exclusivement féminin, pas de jugement, une intervention aussi confortable que possible. En arrivant, j’ai rempli un questionnaire, fait pipi dans un pot, lu une brochure, eu une conversation très cool avec une infirmière. Je noterai ici qu’à aucun moment – ni au téléphone ni sur Internet quand je leur ai écrit, ni où que ce soit dans le questionnaire que j’ai rempli – il n’a été question de mon poids. Jamais.
Je suis grosse, si vous n'aviez pas allumé. Je sais pas c’est quoi mon IMC, mais je suis obèse. Je fais du sport, ma santé est chill. Reste que je suis obèse.
Je m’appliquais donc à stresser au sujet de l'intervention, quand l’infirmière change de face et me demande, d’un coup, combien je pèse. Je lui réponds. Elle commence à m’expliquer, l’air embarrassé, que la docteure qui est de garde ce jour-là n’accepte pas de faire la procédure sur les filles en surpoids, à cause d’un risque plus élevé de complications. Un truc d’opiacé qui se store dans les graisses et augmente le risque de dépression respiratoire. Je lui demande si c’est dangereux, elle me dit pas vraiment, m’explique que les autres docteurs le font pareil et qu’il n’y a jamais eu de problème, mais que la doc' qui travaillait ce jour-là avait déjà refusé une fille pour la même raison.
Le feeling est ordinaire, déjà, mais elle me dit qu’elle va lui parler. Qu’au pire, on pourrait me donner un rendez-vous avec une autre docteure. Je passe dans les bureaux de quelques autres madames, en attendant la médecin, qui me disent toutes, avec une face turbo éplorée : « Ah, euh… ben désolée, là on installerait le cathéter, mais euh… ». Awkward.
La doc' sort, elle m’emmène dans son bureau, me dit « Bon, ben on t’a expliqué? ». Je lui réponds que oui. À ce point-là, j’essaie de me ressaisir, mais je fais juste brailler comme un bébé, presque incapable de sortir les mots, tellement le stress pis la honte prennent toute la place. Je lui signifie que ce fat-shaming est vraiment une cerise inutile sur le sundæ de marde qu’était déjà cette situation.
Elle me dit que c’est pour mon bien. Je lui demande si elle peut me proposer d’autres options en matière d’anesthésie, elle me dit que non. Puis, que de toute façon, la procédure est trop chiante à faire pour elle parce qu’il y a trop de chair dans le chemin, pis qu’elle voit mal. Moi qui pensais qu’on était toutes pareilles à l’intérieur.
Je vais pas m’étendre sur le sentiment que ça procure de se faire dire ça. Je vous dirai pas non plus comment je me sentais quand, cinq minutes plus tard, j’ai dû dropper mes pants – devant une fille qui a manifestement un problème avec le gras encombrant qui me recouvre – pour l’échographie qui déterminerait le nombre exact de semaines de grossesse. J’ai juste pleuré tout le long. Sept semaines.
Je vais juste dire une chose : une chance que c'est à MOI que c'est arrivé.
Je suis dans la trentaine, bien entourée, mon chum était là, deux amies aussi, j’avais un lift, tout ça. Mon horaire de travail est flexible, je n'ai pas eu à justifier mon absence. Malgré tout, j’ai quand même passé la pire journée de ma vie, braillé devant genre 5 inconnues différentes qui me disaient qu’elles pouvaient quand même pas demander à toutes les filles combien elles pèsent, pis que c’tait ben plate, pis qu’elles devraient peut-être changer leur protocole.
En passant, si tu discrimines et refuse ton service à partir (ou sous) d’un certain poids, OF COURSE que tu dois demander à toutes les filles combien elles pèsent. Tu dois demander, avertir, le mettre dans la FAQ de ton site Web, dans ton formulaire à remplir, ta brochure, QUELQUE CHOSE.
Se faire avorter est vraiment épeurant, dur. Se mettre à poil devant des inconnus pour se faire vacuumer les entrailles est déjà pas cool. Se faire traiter comme une grosse freak-cas-spécial, c’était vraiment de trop. Je suis assez solide normalement quand on m’ennuie avec mon poids, ce qui survient évidemment toujours. Et jamais je pleure devant des inconnus. Mais là, dans ce contexte-là, c’était vraiment de trop.
Qu’est-ce qui serait arrivé si j’étais descendue de Sept-Îles en autobus pour ça, que j’avais payé un hôtel, que j’avais pas dit à ma famille exactement pourquoi je venais, pis que je pouvais pas revenir? Si ça mettait mon emploi en danger de prendre un autre congé, mais que je voulais pas dire à mon employeur ce qui m’arrivait?
Qu’est-ce qui serait arrivé si j’avais été tout près de la date limite pour pouvoir avorter et que je venais de perdre deux semaines en pensant que tout était OK pour finalement, oopsie, être forcée de le garder? Si j’avais eu 15 ans pis qu’en plus de vivre ça, je me faisais jeter dehors parce que j’étais trop grosse, forcée de téléphoner partout en ville pour trouver un médecin qui est game de me toucher? Si ça avait été un bébé du viol pis que j’avais été forcée de le porter plus longtemps? Pis si j’avais juste pu m’échapper une journée pour pas que mon chum ou mon père abusif le sache?
Que ce soit bien clair : je ne chigne pas parce qu’on doit prendre certaines précautions en fonction du poids d’une personne. Je suis pas conne. Je chigne parce qu’à AUCUN MOMENT on ne m’a avertie. On m’a laissé penser durant deux semaines que ça allait arriver, vivre les nuits d’insomnie qui ont précédé la journée où, finalement, je me couche toujours enceinte et vais devoir courir après des hôpitaux après que tout le monde m’ait dit « va surtout pas à l’hôpital, ils vont te traiter comme d’la viande, va dans une clinique pour femmes, sont tellement fines. »
Ne plus offrir le service au-delà d’un certain IMC, pis je sais même pas lequel, aléatoirement et en fonction des feelings du docteur ou peu importe, c’est pas du fine print. C’est de l’information CRUCIALE que les femmes devraient connaître. Au préalable. (En passant, la même chose peut se produire dans le cas de filles de très faible poids. Toutes petites, mentionnez donc aussi votre poids en appelant!)
Je trouve ça vraiment dur de parler de ça en ce moment #StillPreggo #VeryEmo #SoScared, mais je suis incapable de dormir en pensant à tous les scénarios où cette situation dégueu aurait pu être tragique pour une TONNE de raisons si elle était arrivée à une autre. J’aimerais donc que cette importante information circule autant que possible parce que c’est pas tout le monde qui aura ma « chance », celle de juste pouvoir prendre un autre rendez-vous à l’hôpital pour un avortement brutal clinique. Ça m’apprendra à être grosse, right?
Envoyez ça aux toutounes dans vos vies! Personne ne devrait vivre ça. Être grosse est assez rough au quotidien, on nous traite vraiment comme moins que des humains, tout particulièrement dans le milieu médical. Subir un avortement est assez rough aussi. Il doit bien exister une façon de trier les femmes pour qu’elles aient accès à l'intervention dans un environnement sécuritaire, sans leur faire vivre une expérience comme la mienne. Même le staff était hyper mal à l’aise. Pourrait-on faire l’effort de voir au-delà de la graisse pour constater qu’en dessous de l’IMC pis de la viande quantifiable, y’a un être humain, une femme dans une situation déjà très vulnérabilisante, qui a le droit de recevoir des soins adéquats, que tu sois down ou non avec son tour de taille?
En sortant, on m’a dit que si j’avais dit mon poids au téléphone, ce serait pas arrivé. Je vous informe donc de ce fait en espérant que ça facilitera les choses pour certaines d’entre vous.
C’est pas mature, je le sais, mais j’ai juste ça à dire : FUCK THIS DAY.
(Si vous avez subi un avortement dans un hôpital montréalais et que c’était nice, conseillez-moi des endroits s’il-vous-plaît. Merci <3)