Les hommes à droite, les femmes à gauche : combattre la dualité dans l’industrie de la mode.
Alex ViensJe travaille dans une boutique de vêtements au centre-ville de Montréal. Ma clientèle est plutôt âgée, professionnelle. Rien de très heavy au Complexe Desjardins.
Il m'arrive quelques fois de servir des hommes qui essaient des vêtements féminins, ou des femmes pour l'inverse. Comme une bonne petite bisexuelle/Montréalaise/tatouée, je fais tout en mon pouvoir pour limiter les allusions trop gender-specific. Récemment, un homme (de corps) était venu essayer des chemises pour femmes. En passant à la caisse pour payer sa chemise, elle m'a avoué qu'elle préparait sa transition qui arriverait en juillet.
Ça m'a pris un moment avant de réaliser que la confiance que j'avais méritée était un événement rare. Et que la plupart des gens qui désirent traverser dans « l'autre » section doivent dealer avec le jugement, les suppositions et un certain paternalisme de la part des vendeurs/vendeuses ou même des institutions elles-mêmes.
Des jugements faciles comme supposer que l'homme ou la femme qui traverse de l'autre côté est soit gai, soit transgenre. Ou d'infantiliser les client(e)s en essayant de les rediriger dans le « droit chemin ». Les sections deviennent des frontières, même pour les hétérosexuels et les cisgenres, ces groupes normalement très peu discriminés.
Deux mondes basés sur des critères complètement subjectifs. Un vêtement, c'est déterminé par la coupe, la couleur et la matière. Rappelons qu'à un moment donné dans l'histoire, le pantalon n'était pas un vêtement pour les femmes, le rose était une couleur attribuée aux hommes et les enfants portaient tous des robes. Si les vêtements avaient une fonction utilitaire back in the day (tabliers pour travailler en cuisine, pantalons pour le travail physique, etc.), les coupes servent maintenant à diviser.
On offre aux hommes des coupes amples, des matériaux robustes. On offre aux femmes des coupes serrées et des matériaux délicats. Dans cette perspective-là, je m'habille comme un mononcle 24/7.
Je suis gérante d'une boutique et j'y suis présente 40 heures par semaine. Malgré qu'on y tienne deux sections très genrées, il y a toujours des gens pour me dire qu'un manteau est trop masculin ou trop féminin (et c'est évidemment péjoratif…). L'ironie, c'est qu'on parle d'une industrie qui impose arbitrairement une idée de ce qui est masculin ou féminin, mais qui n'arrive jamais à faire l'unanimité. Même chez ceux qui souhaitent adhérer à ces standards.
Le boyfriend jean est l'une des plus grosses jokes dans l'industrie du vêtement, selon moi. Un pantalon emprunté à la mode masculine, adapté pour la femme. Un vêtement qui, même adapté, conserve un look qu'on dit « masculin ». Y'a des mathématiciens qui diraient que c'est supposé s'annuler, mais dans le monde de la mode, le masculin l'emporte souvent.
L'ère d'un nouveau marché
J'ai travaillé deux ans dans une friperie grande surface dont-on-ne-peut-prononcer-le-nom. Et jamais je n'ai vu une telle facilité dans le fait de traverser les sections. Bien sûr, les sections sont moins clairement divisées. Mais il y a que les friperies sont encore aujourd'hui un lieu underground et en marge de la mode, qui habille beaucoup de gens « en marge » de la société.
Certaines boutiques adoptent une perspective plus unisexe. Parlons d'American Apparel, qui fait partager ses basiques aux hommes autant qu'aux femmes. Parlons aussi de microboutiques comme Stay Home Club, qui offre la majorité de ses modèles dans des tailles unisexes. Et parlons franchement de Marc Jacobs, présentement en croisade pour populariser la robe et la jupe pour les hommes.
Je constate une certaine ouverture quand je confronte les gens par rapport à la genrification de la mode.
Je pose une question et, très honnêtement, je n'ai pas de solution immédiate. Ma collègue m'a écoutée calmement avant de m'avouer qu'elle trouvait ma pensée un peu égoïste : certaines personnes sont heureuses dans la manière dont les choses sont divisées. Pour d'autres (et je le sais très bien), c'est une frontière contraignante et une cause lourde à défendre.
Pour ma part, je tente d'offrir un service respectueux et le plus gender-neutral possible, service que j'exige également de mes collègues. Juste ça, c'est, selon moi, un pas important vers une industrie du vêtement plus inclusive et tolérante.
Avez-vous déjà été discriminé(e)s pour avoir magasiné de l'autre bord? Vous sentez-vous limité(e)s par la dualité de l'industrie de la mode?