Josiane qui se prend pour une yogi (en lollant un petit peu)
Au début de l’été, une amie m’a convaincue d’essayer le yoga Bikram. Vous savez, ce yoga militaire dans un local chauffé à 42 degrés Celsius, avec un taux de 50% d’humidité.
Ouais, ce yoga-là…
Les pires quatre-vingt-dix minutes de mon existence. Et j’étais relativement en forme, hein! Faut pas croire. Je suis une ancienne gymnaste, en plus. Faire des contorsions improbables avec mon corps, ça me connaît (note à moi-même: phrase à ne jamais citer hors contexte).
Mais là, on était ailleurs. Une heure et demi de martyr et de liquéfaction. J’étais Jésus dans le désert au 40e jour. J’étais à mi-chemin entre le marathonien originel et un genre de pruneau séché qui respire encore péniblement.
À un certain point, j’étais même persuadée qu’on allait devoir me sortir de la salle en civière. J’ai fait l’étoile sur mon tapis, haletante et détrempée, 90% de la séance. Je n’étais plus qu’une sirène échouée qui divaguait en comptant les mouches imaginaires.
Honnêtement, moi qui croyait avoir pris une initiative saine pour mon petit body, j’avais l’impression de me suer l’âme au grand complet. L’horreur sur fond de paroles apaisantes : « on respire très profondément, vous êtes un nénuphar… »
M’a t’en faire un nénuphar, moé!
Puis, on en sort transi, mais vivant; avec un buzz d’endorphines indescriptible. Et comme un con, on se dit : « J’ai hâte à la prochaine fois! »
Eh oui! Si invraisemblable cela puisse paraître, fois subséquentes il y eut.
Pour tout dire, j’ai même intégré le Bikram à ma routine. J’y vais trois ou quatre fois par semaines; mon corps me le demande. Je m’étire comme un chat dans un fourneau et ça ne me déplaît pas. En dehors du ski, du vélo et de la gym de naguère, c’est même la seule pratique sportive régulière à laquelle j’ai adhéré, pour maintenir un mode de vie actif et faire plaisir à Docteur Béliveau. Genre.
Et puis je peux manger tous les grilled cheese que je veux : je maigris quand même. Ça, c’est vraiment l’argument suprême, vous m’en croirez. Suffit d’un peu de discipline. C’est la clé de tout dans la vie, la discipline. Je fais ma minute maternelle, mais c’est vrai : plus on en fait, plus on trouve le temps d’en faire. Okay, des fois, je « corde » les choses à faire sur vingt heures en ligne sous prétexte que « ça se fait! », et là le Petit Monsieur finit par m’attacher au divan un verre de vin à la main pour que je me détende, mais le principe reste valable.
Alors si on résume : le Bikram a ceci de bien qu’il me force à structurer mon horaire, et mon gras abdominal. Voilà. C’est tout, ça s’arrête là. Et j’en suis fort aise. Y’a pas d’histoire de réalignement de chakras, de flux d’énergie vitale, de méditation transcendantale : non, y’a rien de tout ça. Je pratique mon Bikram (comme n’importe quel sport, d’ailleurs) de manière strictement séculière et ludique. Parce qu’il y a des mautadines de limites à se prendre au sérieux dans la vie, surtout quand il fait 42 degrés Celsius et qu’on porte un teeny-weeny short rose de yoga.
Malheureusement, semble-t-il que ce soit malvenu dans les salles de Bikram Plateau-cool d’aborder la chose avec bonhommie et convivialité. Je comprends qu’il faille être calme et concentré. De toute façon, l’exercice est trop insupportable pour s’y adonner avec exubérance. Ce qui me dépasse, c’est l’espèce de recueillement masochiste et psychorigide de certains adeptes ou « maîtres » yogi. C’est vraiment d’un grotesque consommé, particulièrement dans le cas du Bikram.
Ne vous méprenez pas, je sais pertinemment que le yoga est à l’origine un art de vivre d’une très grande richesse spirituelle. Mais le Bikram tel qu’on le pratique dans la plupart des centres métropolitains s’inscrit dans une vision un peu bidon du yoga traditionnel. Du « yoga à l’américaine », dit-on. Conçu pour nous, occidentaux relativement insensibles à la « vraie » recherche spirituelle; qui ont besoin de sentir immédiatement qu’ils font un effort intense et effectif. Dont je suis, et de manière totalement assumée, d’ailleurs.
lol
Bikram Choudhury considère d’ailleurs lui-même que les Caucasiens sont objectivement inférieurs aux Indiens, et c’est pourquoi ils doivent se soumettre au « supplice physique » du yoga chaud, dans l’espoir de former suffisamment leur corps et leur esprit pour accéder jour à de plus hautes sphères spirituelles. Un espèce de purgatoire, en fait. Ou alors l’occasion de rire de nous…
Mais vous savez, moi je vis très bien avec le fait d’être la lie de l’humanité, tiens. Appartenir à une classe d’individus incapables d’accéder au transcendant, ça ne m’empêche pas de dormir! Je vous l’ai dit: aménagement d’horaire et booty management sont mes mantras, si profanes soient-ils, tiens!
Mais ces gens qui prennent le Bikram pour du cash, comme une précieuse nourriture mystique, et qui en profitent pour juger avec mépris la non perfection de mon toe-stand ou me regarder de haut pour le non agencement de mon short et de mon débardeur en lycra…Ça, ça me pompe le zen spirit en ti-pépère!
Toujours est-il que je continue mon yoga comme un navet dans un bain marie, même s’il m’arrive de devoir aller courir en prime, pour sortir le méchant…